Harcèlement ? Pas besoin de qualifier "harcèlement" les faits dénoncés pour être protégé contre des représailles de l’employeur...


https://www.unsa.org/2764

Une jurisprudence sociale récente vient encore faire évoluer la protection des dénonciateurs de faits et de comportements qui s’avèrent être et relever du harcèlement moral... Constatant des comportements de harcèlement, le salarié qui les dénonce n’a plus absolument besoin de les avoir dénommés et qualifier comme tels ("harcèlement") pour bénéficier de la protection d’un lanceur d’alerte notamment contre le licenciement...

JURISPRUDENCE SOCIALE

La Cour de cassation opère un revirement en décidant que le salarié qui dénonce des faits qui seront reconnus ensuite comme relevant du "harcèlement moral" ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il ait ou pas qualifié les faits de "harcèlement moral" lors de leur dénonciation, sauf abus...

A propos de Cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-21.53
https://www.courdecassation.fr/deci...

° EN RESUME...

Selon les articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi, refusé de subir ou dénoncé des agissements de harcèlement moral.
Dans ces conditions toute rupture du contrat de travail, toute disposition ou tout acte contraire intervenu en méconnaissance de ces dispositions est nul (article L 1152-3), sauf mauvaise foi du salarié
(Cass. soc. 10 mars 2009, n° 07-44.092).

Depuis un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 13 septembre (Cass. soc. 13 septembre 2017, n° 15-23.045), un "salarié dénonçant un fait de harcèlement moral ne peut bénéficier de la protection contre le licenciement que s’il a clairement qualifié les faits de la sorte. Cette solution avait d’ailleurs vocation à s’étendre à d’autres motifs tel que le harcèlement sexuel".

Inévitablement, il était compliqué pour un salarié, dépourvu de connaissance juridique, d’utiliser le terme adéquate pour qualifier les faits qu’il dénonce.
Cet arrêt de 2017 apparaissait difficilement conciliable le régime probatoire du harcèlement dont l’exacte qualification incombait au juge conformément à l’article 12 du code de procédure civile.

° CONTEXTE DE LA SAISINE

Une salariée est licenciée pour faute grave en raison de l’envoi d’un courrier adressé à des membres du conseil d’administration dénonçant dans une lettre du 26 février 2018, l’attitude et les décisions prises par son supérieur hiérarchique. Elle estimait que ce dernier dégradait ses conditions de travail.
Contestant son licenciement et soutenant avoir subi un harcèlement moral, la salariée saisit le conseil de prud’hommes de demandes tendant à titre principal à la nullité de son licenciement. Subsidiairement, elle entendait que soit prononcé que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse et à obtenir paiement de diverses sommes au titre de la rupture, des circonstances brutales de celle-ci, du harcèlement moral, du non-respect de l’obligation de sécurité et de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail...

- CPH :

Par jugement, la juridiction prud’homale décide que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur.

- Cour d’appel :

Saisie d’un appel interjeté par la salariée, la cour d’appel confirme le jugement, sauf en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de requalification du licenciement en licenciement nul, de sa demande au titre du harcèlement moral et au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

Contestant la qualification de harcèlement moral, estimant que la salariée n’a pas qualifié les faits dénoncés dans la lettre du 26 février 2018, l’employeur forme un pourvoi en cassation.

- Question de fond posée ?
Le salarié dénonçant des agissements doit-il qualifier le harcèlement moral en résultant pour bénéficier de la protection résultant de son régime ?

° L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION...

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle opère un revirement et admet la nullité du licenciement et juge que le salarié dénonçant des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu importe qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement lors de leur dénonciation, ... sauf mauvaise foi.

À l’appui de ce rejet, elle fonde son raisonnement sur deux principes : celui du principe de l’égalité des armes et de la liberté d’expression du salarié.

  • Concernant le principe de l’égalité des armes, les juges de la Haute Cour s’alignent sur une décision précédente en date du 16 septembre 2020 (n° 18-26.696), qui dispense l’employeur lui-même de qualifier les faits dans la lettre de rupture et notamment, la mauvaise foi du salarié.

Il peut en effet avoir fait grief au salarié d’avoir dénoncé des faits de harcèlement inexistants. Aussi, dès lors que l’employeur peut faire état devant la juridiction d’un élément essentiel à sa défense, qu’il n’a pas énoncé dans la lettre de rupture, il apparaît logique, en vertu de l’égalité des armes, d’admettre que le salarié ne soit pas tenu lui aussi de qualifier les faits antérieurement au litige...

  • Concernant la liberté d’expression du salarié, en 2022 (20-10.057 et 15-10.557), la Cour de cassation rappelle que toute mesure portant atteinte à la liberté d’expression, lorsqu’elle est exercée sans abus, est atteinte de nullité.
    Il apparaît donc logique qu’un salarié licencié, pour avoir dénoncé des faits, sans abus, puisse réclamer la nullité de son licenciement.

° ECLAIRAGES

La notice de cet arrêt apporte une précision non négligeable : cette solution ne s’applique que si l’employeur ne pouvait légitimement ignorer à la lecture de la lettre de dénonciation, les agissements de harcèlement.

Nous invitons les salariés, dénonçant des faits altérant leurs conditions de travail, à utiliser des termes clairs et précis afin qu’aucun doute ne subsiste à la lecture de la lettre de dénonciation, pour que les faits tels que décrits et rapportés soient qualifiés "harcèlement"...

Dans chaque région, l’Unsa forme des défenseurs syndicaux pour vous accompagner au mieux dans les litiges portant sur votre contrat de travail.

Les délégués syndicaux UNSA pourront aussi le rappeler dans les accords collectifs définissant ou listant les comportements de harcèlement...

Et, n’hésitez pas à dénoncer les faits puisque même sans qualifier et "accuser " votre employeur de "HARCELEUR", il pourra néanmoins l’être reconnu par un juge...

Sophie RIOLLET, juriste, Pôle service juridique, Secteur Juridique National de l’UNSA.
Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org

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