L’inopposabilité au salarié d’un document rédigé en Anglais...


https://www.unsa.org/2847

Par cet arrêt en date du 7 juin 2023, la Cour de cassation se prononce sur une problématique relative à l’opposabilité d’un document contractuel rédigé en Anglais, au salarié.

JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2023 n° 21-20.322

https://www.courdecassation.fr/decision/648020e0f17e00d0f8b57310

° DECISION DU JUGE

« Pour débouter le salarié de sa demande en remboursement d’une certaine somme retenue sur son bulletin de paie du mois d’août 2016 à titre de reprise sur commissions, la cour d’appel retient que le plan de commissionnement rédigé en anglais lui est opposable car il est constant que la langue de travail de l’entreprise est l’anglais, les échanges de mails produits entre les parties étant, pour la plupart, en anglais, y compris les documents de travail établis par le salarié.

En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le document fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle n’était pas rédigé en français, la cour d’appel, qui n’a pas constaté qu’il avait été reçu de l’étranger, a violé le texte susvisé ».

° FAITS
Un homme a été embauché comme responsable des ventes au sein d’une société le 1er mars 2008, puis licencié le 26 mai 2016. Un mois après, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

° PROCEDURE
La Cour d’appel l’a débouté de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour la contrepartie obligatoire en repos, d’indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour violation des règles sur la durée du travail. Notamment car la Cour d’appel a considéré qu’il avait la qualité de cadre dirigeant.

Pour le considérer comme tel elle s’est basée sur des éléments factuels : le statut de cadre (position 3.3 coefficient 270 de la convention collective, le plus haut niveau), son contrat prévoit des tâches de développement commercial et de marketing (notamment « développer, mettre en œuvre et exécuter le plan stratégique de vente de manière à atteindre les objectifs fixés »), son implication dans l’élaboration de ce plan est établie puisqu’il lui a été demandé d’élaborer un « business plan » pour la commercialisation de nouveaux produits en 2015.

Il a donc formé un pourvoi en cassation car il estime que ce n’est pas le cas et appuie son argumentaire sur l’article L. 3111-2 du Code du travail selon lequel « sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ». Il en déduit que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise.

Il invoque un deuxième moyen selon lequel la Cour d’appel a jugé un document rédigé en anglais comme opposable au cadre alors que l’article L. 1321-6 prévoit que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français, cette règle n’étant pas applicable aux documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers.

La question qui se pose avant tout dans ce cas est de savoir si le document rédigé en anglais doit être opposable au salarié ?

° ECLAIRAGES
Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel a constaté, entre autres éléments évoqués précédemment, que ses bulletins de paie visent le statut de cadre dirigeant et que son contrat de travail vise le statut de cadre. Bien que le salarié bénéficiait de l’un des niveaux de rémunération les plus élevés de l’entreprise, tout ce que la Cour d’appel a relevé ne permet pas de caractériser que, dans l’exercice de ses fonctions, le salarié était effectivement habilité à prendre des décisions de façon largement autonome, l’amenant à participer à la direction de l’entreprise, donc sa décision est privée de base légale sur ce point.

Elle ajoute que comme la Cour d’appel a débouté le salarié de sa demande d’une certaine somme retenue sur son bulletin de paie du mois d’août 2016 à titre de reprise sur commissions : Le plan de commissionnement rédigé en anglais lui est opposable puisqu’il est constant que la langue de travail de l’entreprise est l’anglais, les échanges de mails produits entre les parties étant, pour la plupart, en anglais, y compris les documents de travail établis par le salarié. Or, adopter ce raisonnement en sachant que le document fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle n’était pas rédigé en français est contraire à l’article L1321-6 Code du travail.

Donc la Haute juridiction a cassé l’arrêt d’appel pour ces motifs.

- FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?
Les deux principaux articles sur lesquels se fonde la Cour sont l’article L. 3111-2, qui détermine les conditions conférant la qualité de cadre dirigeant, et l’article L. 1321-6, qui rappelle que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français. Sauf ceux reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers.

° DROIT EN ACTIONS
La Cour de cassation applique strictement le Code du travail, et s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle stable, après avoir déjà jugé que des documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle rédigés en anglais étaient inopposables au salarié (Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-67.492). Cette obligation s’impose à l’employeur même pour une entreprise qui aurait une activité à l’international (Cass. soc. 3 mai 2018 n° 16-13.736).

Elle a cependant déjà été moins stricte en jugeant l’obligation remplie dès lors qu’un document fixant les objectifs permettant la détermination de la rémunération variable avait été rédigé en français et diffusé rapidement sur le site intranet de l’entreprise, après avoir été communiqué en anglais (Cass. soc. 21 septembre 2017 n° 16-20.426).

Auteur, Louis BERVICK, Juriste en Droit Social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

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