Absence de qualification d’accidents de "télétravail" : une application stricte des horaires et des missions lors de l’accident...


https://www.unsa.org/2816

Deux arrêts de cour d’appel ont écarté la qualification d’accidents de travail survenus en télétravail. Ces arrêts s’inscrivent dans un contexte de développement des pratiques de télétravail, alors qu’au niveau européen les syndicats négocient un accord qui pourrait aboutir à une Directive européenne au cours du 1er semestre 2014.

JURISPRUDENCE DE COURS D’APPEL :

Ces récents arrêts soulèvent, à ces égards, de nouvelles questions, celles du temps et du lieu de travail. Celles aussi des missions exercées et des agissements dans le temps de l’accident... .

FAITS :

  • Dans un premier arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 15 juin 2023, une salariée effectuait du télétravail en période de pandémie. Elle avait aménagé son espace de travail dans le sous-sol de son domicile, accessible par un escalier. Le 30 juillet 2020, ayant « poinçonné » la fin de sa journée de travail vers 16 heures, en remontant les escaliers, la salariée chuta accidentellement.
  • Autre décision : la cour d’appel de La Réunion a rendu un arrêt le 4 mai 2023 : un salarié était en télétravail au moment de l’accident litigieux. A 8 30, un camion a percuté un poteau, interrompant par conséquent la connexion internet du salarié. Ce dernier, alors qu’il venait de commencer son télétravail, décida de se rendre sur la voie publique afin de discuter avec le chauffeur. Mais, un second véhicule tira à nouveau sur les câbles, entrainant ainsi la chute du poteau sur le salarié.

Question : Comment appliquer la notion de lieu et de temps de travail à un salarié en télétravail ?

- DROIT APPLICABLE :

  • Pour le premier arrêt, les juges d’appel ont considéré que l’accident avait eu lieu en dehors du temps de travail. En effet, sa journée de travail s’était finie avant que l’accident ne survienne, elle n’était donc plus sous la subordination de son employeur. La présomption d’imputabilité ne pouvait pas s’appliquer, quand bien même il y avait un faible écart entre la fin du travail de la salariée et son accident. Ensuite, ils ont estimé que la demandeuse ne rapportait pas la preuve du caractère professionnel de l’accident.

- Dans le second arrêt, la cour d’appel a également écarté le caractère professionnel de l’accident. Elle a considéré que le salarié avait interrompu sa mission pour motif personnel : il n’avait aucune obligation qui lui était faite par son employeur de trouver l’origine de la panne informatique. De plus, l’incident n’est pas survenu sur le lieu de travail mais sur la voie publique. Il n’était plus sous la subordination de son employeur au moment des faits, et ne pouvait donc pas bénéficier de la présomption de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale. Le salarié n’a également pas rapporté la preuve du caractère professionnel de l’accident…

L’ANALYSE DES JUGES : c’est un raisonnement en deux temps. Tout d’abord, il s’interroge si le salarié bénéficie bien de la présomption d’imputabilité de travail, c’est-à-dire si l’accident était au lieu et temps du travail. A défaut, il vérifie si le salarié ramène la preuve du caractère professionnel de l’accident.

- COMMENTAIRES : l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose pourtant qu’un accident du travail est, quelle qu’en soit la cause, un accident survenu, par le fait ou à l’occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. Il y a, de surcroît, une présomption d’accident de travail pour les accidents survenus en temps et au lieu du travail.

L’article L. 1222-9 I et III du code du travail affirme que le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, aussi, tout accident survenu en temps et lieu où est exercé le télétravail est présumé être un accident de travail.

Qu’en déduire ?

Ces deux arrêts sont assez restrictifs pour le salarié et n’assurent pas une protection adéquate en cas d’accident pendant le télétravail.

La Cour de cassation a une jurisprudence importante en matière d’accident de travail. Elle admet largement les différentes situations où le salarié bénéficie de la présomption. Par exemple, la Cour de cassation a reconnu un accident de travail sur le parking de l’entreprise hors du lieu de travail et après la fin du travail (Cass. Ass. plén., 3 juillet 1987), le salarié étant toujours sous la dépendance de l’employeur. Les arrêts de la Cour d’appel semble donc assez sévères.

Les juges du fond interprètent strictement la notion de lieu et temps de travail, alors que la Cour de cassation a rendu une jurisprudence assez favorable au salarié.

Cependant la situation de télétravail dans les deux arrêts rend difficile la délimitation de ce qui relève du temps et lieu de travail. En effet, le salarié utilisant son domicile comme lieu de travail : le juge se rattache plus dans le premier arrêt au temps de travail et à la subordination de l’employeur. Dans le second arrêt, l’accident se produit hors du lieu de travail mais pendant le temps de travail. Les juges d’appel semblent donc dire qu’il faudrait que le salarié ne sorte pas de chez lui pour bénéficier de la présomption.

Dans tous les cas, même défavorables, ces arrêts sont novateurs dans la question des accidents de télétravail.

La Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de rendre des décisions à propos de ce sujet.

° Prise en compte de la « mission »...

L’arrêt de la cour d’appel de La Réunion utilise la notion de mission puis celle de télétravail.

Le juge d’appel vérifie dans un premier temps si le salarié se trouvait bien en mission ou pas. Elle a considéré que le salarié avait cessé sa mission pour motifs personnels. En effet une mission est entendue comme « un déplacement effectué pour les nécessités du service » (Cass. 2e civ., 16 sept. 2003, no 02-30.009). Le salarié effectuait donc sa mission « dans le cadre du télétravail ».

Le salarié en mission bénéficie de la protection de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale tout le temps de sa mission. Mais, la Cour de cassation, après avoir fait évoluer la définition de « mission » et abandonner la notion « d’acte de la vie courante », affirme que le salarié en mission ne peut bénéficier de la présomption quand il l’interrompt pour un motif personnel (Cass. soc. 19 juill. 2001, n ° 99-21.536 et n° 99-20.603).

L’arrêt est critiquable car le motif personnel est entendu assez strictement par la Cour de cassation. Tout d’abord, il revient à l’employeur de prouver le motif personnel de l’interruption de la mission. La Cour de cassation a estimé qu’il s’agissait bien d’un accident de travail la blessure survenue dans une discothèque alors que le salarié était en mission (Cass. soc. 21 juin 2018 n° 17-15.984).

Le fait de vouloir rétablir la connexion internet, essentielle au télétravail, ne semble pas un motif personnel étranger à toute considération professionnelle. La position des juges d’appel est désavantageuse et sévère pour le salarié.

° DROIT EN ACTIONS :

On pourrait bien sûr fortement s’émouvoir de ces deux décisions de juges du fond, qui ont toutes deux des situations de faits à l’occasion desquelles survient un accident : en même temps, les juges du fond ont fait leur travail d’analyse des faits.

L’éviction de l’accident du travail pour une chute dans les escaliers est certainement plus "choquante" parce que la salariée n’aurait sans doute pas chuté à cet endroit si elle ne revenait pas de l’espace de télétravail qu’elle s’était spécialement aménagée pour travailler.
Pour la seconde, la mission de rétablissement de la connexion internet l’était bien dans l’intention de pouvoir poursuivre son télétravail, pas pour vaquer à des occupations personnelles...

Attention donc aux décisions sans nuances des juges ! Et, pour les salariés, convenez par écrit et appelez votre employeur s’agissant des instructions vous permettant de régler des situations en vue de votre travail, qui vous font font sortir du "cadre" habituel d’exercice de la relation de télétravail... Prévenez a minima...

A suivre ce que dira la Cour de Cassation…

Auteur, Philémon FORGET, Stagiaire Juriste UNSA, Master II en Droit Social, Université PARIS-PANTHEON-ASSAS, sous la direction de Christian HERGES, Responsable Juridique, Pôle service Juridique, Secteur Juridique National UNSA, Bagnolet.

Pour toute question, juridique@unsa.org

- Cour d’appel d’Amiens du 15 juin 2023, n° 22/00474 ;

  • Cour d’appel Saint-Denis du 4 mai 2023, n° 22/00884.

On se reportera également utilement au dossier public : https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A16703

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