Le salarié continue d’acquérir des droits à congés payés sans les perdre pendant un arrêt maladie et un congé parental : des Cours d’appel condamnent les employeurs, saisine du Conseil Constitutionnel (QPC), texte en préparation au conseil des ministres…


https://www.unsa.org/3002

La Cour de cassation a transmis le 15 novembre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel, pour qu’il décide d’une annulation du texte du code du travail litigieux non conforme à une directive de 2003.

Un texte est en préparation au Gouvernement qui respecterait la Directive Européenne. Faisons le point...

JURISPRUDENCE SOCIALE ET CONGES PAYES

Fin septembre, premières évocations par l’UNSA Juridique et perspectives possibles des suites du 13 septembre 2023 de la Cour de Cassation…

Etaient déjà indiqués les risques pour le gouvernement à ne pas s’emparer rapidement de ces décisions, pour définir une règle nouvelle, conforme à la directive européenne, au risque de laisser aux juges, dans le cadre d’une recrudescence d’actions et de recours, le soin d’appliquer la règle, celle, nous n’en doutions pas, la plus favorable aux salariés…

Si de nombreuses entreprises ont d’ores et déjà anticipé avec pléthore de variantes, l’adaptation ou la riposte (ex. application spontanée, négociation d’accord avec clause de « revoyure » en CDD, articles d’accords ou notes de direction ambigües laissant à chaque salarié le soin de réclamer ou/et de contester, ....) les décisions de justice, elles, n’ont pas tardé de tomber, sans concessions pour les entreprises…
D’autres entreprises font l’autruche et attendent la modification du code du travail.

Rappel de l’état du droit après le 13 septembre et des enjeux…

Par ses décisions, la Cour de cassation pose que le salarié continue d’acquérir des droits à congés payés sans les perdre, pendant un arrêt maladie et un congé parental...

Elle avait été précédée par la Cour d’appel de Versailles, en juillet.

Cour de cassation, chambre sociale 13 septembre 2023 : Pourvois n° 22-17.340 (TRANSDEV) à 22-17.342 ; 22-17.638 (Transport Daniel Meyer) ; 22-10.529 (Institut des métiers du Notariat), 22-11.106 (L’Institut national des formations notariales, INFN).

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d5fee1a2205e6581656
https://www.courdecassation.fr/decision/65015d62ee1a2205e6581658

 DROIT EUROPEEN

L’article 31 § 2 de la Charte des droits sociaux fondamentaux et l’article 7 de la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 de l’Union européenne garantissent annuellement, à tout travailleur, des congés payés (4 semaines par an).

Or, le code du travail prévoit encore aujourd’hui des dispositions contraires- à la Directive européenne sur le temps de travail de 2003 (CJUE 24 janvier 2012, affaire C-282-10). Ceux-ci s’acquièrent à l’ancienneté…

La Cour cassation déclare donc désormais « non-conformes » au droit européen, pour la première fois, les dispositions du code du travail, qui empêchent toute acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour une maladie ordinaire ainsi que celles limitant l’acquisition des congés en cas d’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, dépassant une durée d’un an…

Pour résumer, l’absence pour maladie n’a plus d’effet interruptif de l’acquisition de droits à congé.

• Maladie ordinaire

En droit européen, lorsque le salarié ne peut pas travailler en raison de son état de santé, situation indépendante de sa volonté, son absence n’a pas de conséquences sur le calcul de ses droits à congé payé, pour ceux qu’il acquiert.
Jusqu’ici, dans le droit français, de manière dérogatoire, un salarié atteint d’une maladie non professionnelle ne pouvait plus, dans le code du travail, acquérir de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail.


• Maladie résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle

Du fait de l’origine professionnelle de l’arrêt maladie, le salarié Français conservait jusqu’à présent une acquisition de droits à congés payés, malgré l’absence de travail effectif, pendant une année seulement (L. 3141-5 du code du travail).
Toutefois, il perdait ce bénéfice de droits à des congés payés nouveaux, au-delà de l’année d’acquisition de ses droits, consécutive à l’accident du travail ou à une maladie professionnelle (ce qui était sans doute la situation la plus choquante...).

Dans le droit de l’Union européenne, un salarié victime, notamment d’un accident de travail peut continuer d’acquérir des droits pendant la totalité de son arrêt. Ce qui est plutôt justice puisque, sans la responsabilité de l’entreprise, il aurait pu travailler et acquérir des temps de repos rémunérés et les prendre.

Dans toutes les situations de maladie, les droits à congés payés ne pouvant être effectivement pris en absence rémunérée, les droits acquis dans la période d’absence pour maladie se retrouvent en général payés et indemnisés, par le truchement d’une indemnité compensatrice de congés payés (pourtant légalement, les congés payés se prennent en temps rémunérés et ne sont pas monétisantes).

Ils peuvent aussi être affectés, lorsqu’il existe, sur un compte épargne-temps, pour en éviter la perte, au terme de la période de prise légale ou/et conventionnelle du congé.

Prescription de ce droit nouveau d’acquisition des jours de congés payés ou du droit au versement d’une indemnité compensatrice de congés payés après un arrêt maladie de (très) longue durée ?

La prescription du « droit » à congé payé ne commence à courir, pour la Cour de Cassation, que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure de jouir de ce droit. Il le fera en temps utile et jusque-là, le salarié conserve des droits.
C’est nécessairement une incitation à réclamer devant les juges, sur ce seul moyen si les employeurs ne prenaient pas en compte rapidement ces décisions du 13 septembre.

Autrement dit, qu’elle soit fixée par la loi ou de façon conventionnelle, une période est déterminée, au cours de laquelle le salarié doit prendre ses congés payés.

Ce n’est que lorsque cette période s’achève que commence à courir le délai de prescription de l’indemnité de congé payé : le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir, que si l’employeur a donc pris des mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé et l’en a informé ou y était tenu de l’en prévenir…

Cette position va donner, entre parenthèse, un caractère fluctuant au point de départ et à l’échéance de l’exercice des droits. Cela pourrait tempérer les modalités et la temporalité des actions des salariés.
Mais, cette difficulté ne remet pas en cause le principe et droit du salarié de réclamer ses droits à congés payés acquis dans la période d’absence, dorénavant, sans risque de perte.

Dans l’absolu, un arrêt maladie peut durer plusieurs années et bien au-delà même d’une durée de prescription de versement (par exemple) de droits à élément de rémunération (trois ans, aujourd’hui).

La provision comptable pour ’congés payés’ et l’utilisation de ces congés payés, par le salarié, de retour d’une maladie de longue durée participent même à une bonne reprise progressive d’activité…

Dans l’une des affaires examinées par la cour de cassation, cela faisait dix ans que la salariée n’avait pas acquis de droits à congés payés… Mais, cet état de fait résultait aussi d’une requalification de la relation de travail en relation de travail salariée, ce qui demeure une situation qui n’est pas la plus représentative de situations de maladie de moyenne ou longue durées.

 Fondements de la décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation, eu égard à l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif au droit au repos, écarte les dispositions du droit français non conformes à la Directive européenne de 2003.

Elle juge, à la suite d’ailleurs des juges d’appel, que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) continuent, malgré la période d’inactivité, d’acquérir des droits.

Dans l’arrêt toujours, la Cour Cassation retient des garanties similaires s’agissant du congé parental et confirme la nécessité pour l’employeur de reporter les congés payés acquis par le salarié, après la date de reprise du travail - Cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-14.043.

 DROITS EN ACTIONS

Quelles suites techniquement possibles seront données ou à donner à cette jurisprudence de revirement ?

La date de mise en conformité et de prise en compte de la règle reste à ce jour incertaine. Ce qui est indiscutable, c’est que depuis le 13 septembre, la France doit se mettre en conformité avec la législation européenne (à noter que ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation était interrogée sur ce sujet, mais qu’elle n’avait pas reconnue le droit français non conforme).

Pour certains commentateurs, ces décisions de la Cour de cassation constituent inévitablement un « véritable séisme » pour les entreprises dont les salariés pourraient se croire légitimement en droit de réclamer rétroactivement le paiement des congés payés des périodes durant lesquels ils étaient en arrêt maladie.

° Responsabilité de l’État

La Cour de cassation en 2013 (n° 11-22.285) énonçait encore que la directive de 2003 ne pouvait être invoquée dans les litiges entre employeurs et salariés. Elle "n’aurait pas eu d’effet direct".
Toutefois, une action en défaut de mise en conformité contre l’État était possible pour un salarié ou/et un syndicat.

Le tribunal administratif de Montreuil, suivi par la Cour d’appel administrative de Versailles le 30 juin 2020 avait rejeté les actions de syndicats estimant que ceux-ci n’avaient pas établi leur préjudice moral propre. La Cour d’appel de Versailles le 17 juillet 2023 opère le revirement rappelant le défaut de transposition suffisante de la directive européenne dans le droit français. La responsabilité de l’État est donc bien engagée et la législation française non conforme. La Cour de cassation reprend...

° Projet de loi imminent ?

La France et le gouvernement devraient passer par un projet (les députés ou les sénateurs par une proposition…) de loi qui pourrait mettre en œuvre cette mise en conformité du droit français au droit européen et déterminer et préciser aussi la date d’effectivité générale de celle-ci.

Certains évoquent un plafonnement des droits, mais on ne voit pas là une sortie de la non-conformité... Il est toutefois bien entendu que les lois ne sont pas rétroactives et qu’une décision de la Cour de cassation ne vaut d’abord que pour les affaires jugées que la haute juridiction a été amenée à trancher. Mais, cette jurisprudence en appelle à de nouvelles...

Une action devant les juridictions européennes bien que relayée à présent par les juridictions françaises prendrait plusieurs années.

La modification de la loi permettrait d’éviter la multiplication des actions en responsabilité contre l’État devant les juridictions pour défaut de transposition de la directive.

Pratiques des entreprises ?

Ce sont donc plutôt les pratiques des entreprises qui sont, dès maintenant, en capacité d’adapter, temporairement ou durablement, leur gestion des droits à congés payés, suite à ce revirement.
Elles le peuvent plus rapidement que le législateur national, notamment pour les situations d’absence pour maladie en cours, dans cette année, et pour la plupart depuis juin, septembre ou janvier 2023.

L’issue n’est certainement pas non plus dans le déclenchement d’une salve de contentieux aux prud’hommes ou à l’exercice en cascade d’actions syndicales de mises en conformité du code du travail à la directive européenne devant les juridictions administratives.

Dans les pires scénarii de ces actions en justice, certains redoutent des réclamations rétroactives des droits au-delà de la prescription triennale, d’autres rappellent le pragmatisme des praticiens du droit ou des avocats suggérant un rappel complet des droits, voire la résiliation judiciaire ou la prise d’acte de la rupture du contrat pour faute contractuelle de l’employeur, en n’ayant pas permis aux salariés malades d’acquérir leurs droits à congés payés...

Dans le "feu" des actions, les litiges peuvent très vite croître...

Pourtant, comme toujours, certaines entreprises attendent toujours nécessairement une position législative voire, préalablement, une position réglementaire, avec le risque de contentieux.
D’autres, s’étonnent de la faiblesse du fondement juridique puisqu’il suffit que la directive et la charte sociale établissent le droit à 4 semaines, pour qu’un salarié ait quatre semaines garanties, sans autre distinction. Elles en appellent même à une modification de la Directive et stigmatisent le pouvoir exorbitant des juges face au législateur...

 LES JUGES EN « REACTION », SANS PERDRE DE TEMPS …

On pouvait raisonnablement "scruter" les positions à venir du Gouvernement sur cette question, qui n’aurait pas dû tarder à arriver…

Finalement, ce sont les juges qui « enfoncent le clou » : la cour d’appel de Paris condamne, deux employeurs, à verser des indemnités compensatrices de congés payés, qui n’avaient pas été accordés à des salariées en arrêts de travail pour maladie et invalidité doublée, pour l’une d’entre elle, de harcèlement (à noter, affection sans origine professionnelle).

Le ministère du travail avait déjà fait savoir qu’une réponse à ces décisions de la Cour de cassation étaient en préparation.

Si un changement rapide est plutôt escompté et attendu du côté des salariés et des entreprises, les négociateurs de branche, les délégués syndicaux voire les CSE peuvent aussi être force d’initiation des adaptations, par la négociation...

Les salariés et les juges n’ont pas manqué, eux, comme attendu, de « réagir » et de s’emparer de ce revirement de la chambre sociale de la Cour de cassation et de se prononcer : dans ses arrêts du 27 septembre (entreprise CARREFOUR PROXIMITE) et du 12 octobre 2023 (société AEROFLOT), la Cour d’appel ne faisant plus application de l’article L. 3141-3 du code du travail.

L’une de ces salariées invoquait également la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne telle que résultant de la directive 2003-88 - CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Elle rappelait que ce texte et la jurisprudence « n’opèrent aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période ».
Elle obtiendra 6000 euros (soit l’intégralité de la demande sur trois années). Pour l’autre décision, ce sont plus de 7000 euros d’indemnité compensatrice de CP qui seront versés à une salariée absente pour maladie et reconnue invalide, sur le même fondement de la directive et celui de l’article 31 § 2 de la charte des droits sociaux fondamentaux.

  • Question prioritaire de constitutionnalité :

Le 15 novembre 2023, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel des QPC. Ces questions posées pourraient aboutir clairement, dans les deux mois qui viennent, à l’annulation du texte contraire au Droit européen et permettrait d’aller plus en avant sur un texte conforme...
Mais, la décision d’annulation d’une disposition du code du travail et la demande de mise en conformité ne sont pas rétroactives...
Le Conseil Constitutionnel peut même donner un délai de mise en conformité à l’Etat.

- Quelles perspectives de texte en Conseil des Ministres ?

° Indications de la Cour de Justice de l’Union Européenne

Le 9 novembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne interrogée a retenu qu’il ne lui appartenait pas de définir la durée de report applicable au droit au congé annuel payé, cela incombe à l’État membre concerné. Pourtant…

L’État devrait selon la CJUE instituer des limites au report du droit au congé annuel lorsque cela s’avère nécessaire pour que la finalité de ce droit ne soit pas méconnue.

Elle rappelle la double finalité du droit : prendre du repos par rapport à l’exécution des tâches de son contrat de travail et avoir une période de détente et personnelle. Ce qui n’est pas possible pendant un arrêt maladie...

La CJUE admet que des dispositions nationales peuvent limiter le report dans le temps des congés non pris, à condition que le travailleur ait effectivement eu la possibilité d’exercer son droit à congé annuel payé (CJUE 22 septembre 2022, C.120/21). Une période de 15 mois avait pu être indiquée comme suffisante (CJUE 22 novembre 2011, C.214/10). Ce qui n’est pas satisfaisant…

° Projet de texte en Conseil des Ministres ce 15 novembre 2023

Un texte est en préparation qui respecterait, selon le Gouvernement, la directive, mais dont le véhicule juridique et les termes restent à découvrir…

A suivre donc…

Pôle Service Juridique UNSA, Christian HERGES, Responsable Service Juridique, Sophie RIOLLET, Juriste en droit social, Secteur Juridique National UNSA

TEXTES :

 CHARTE SOCIALE EUROPEENNE DES DROITS FONDAMENTAUX :

https://rm.coe.int/16802f5c61

- DIRECTIVE 2003/88/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail
https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2003:299:0009:0019:fr:PDF

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