Pas d’acquisition de congés payés en arrêt maladie : contraire au droit européen, mais conforme à la Constitution française !?


https://www.unsa.org/3173

La décision du Conseil constitutionnel relative (suite à une Q.P.C. (1)) à la différence de traitement entre l’acquisition de droits à congés payés en cas d’arrêt de travail pour maladie simple ou ayant pour origine un accident du travail et portant sur la constitutionnalité de l’article L. 3141-5 alinéa 5° était très attendue depuis les décisions de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 (2), prononçant la non-conformité du droit français à la Directive européenne de 2003 (cf. nos analyses des 15 et 16 novembre derniers, sur le site UNSA.org (3)).

L’UNSA Juridique prônait, en effet, une certaine prudence au regard des décisions du 13 septembre de la Cour de Cassation et la position de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de début novembre 2023, celle-ci rappelant sa jurisprudence des 15 mois et renvoyant « aux États » le soin d’adapter conditions et modalités d’une mise en conformité au droit européen, laissant augurer de nouvelles règles non totalement satisfaisantes au regard des principes fixés par la Directive de 2003.
Que dit le Conseil Constitutionnel ?

Conseil Constitutionnel versus Cour de Cassation ?

En bref  : dans sa décision du 8 février 2024 n° 2023-1079, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’article L. 3141-3 du code du travail et le 5 ° de l’article L. 3141-5 du même code : en substance, le défaut d’acquisition sans limite de période et de nombre de congés pendant les absences pour cause de maladie non professionnelle et la limitation à l’acquisition des congés pendant des arrêts pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle demeurent conformes à la Constitution.
Elles ne compromettent ni le droit au repos, ni le principe d’égalité, ni le droit à la protection de la santé, ni aucun autre droit ou liberté garantie par la Constitution.

° CONTEXTE DE LA SAISINE : la requérante reprochait à l’article L. 3141-3 et au 5 ° de l’article L. 3141-5 d’avoir pour effet de priver le salarié, en cas d’absence pour cause de maladie non professionnelle, de tout droit à l’acquisition de congé payé. D’autre part, de limiter à un an la période prise en compte pour le calcul des congés payés d’un salarié absent pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Selon la requérante salariée, ces dispositions étaient contraires au droit à la santé et au droit au repos.

Il était soutenu également que ces dispositions, qui prévoient que seuls les salariés en accident du travail ou en maladie professionnelle acquièrent des droits à congé payé, institueraient une différence de traitement injustifiée, entre ces derniers et les salariés en arrêt pour cause de maladie non professionnelle.
Dès lors, ils estiment que les dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité devant la loi…

° PROCÉDURE : la chambre sociale, par un arrêt du 15 novembre 2023 (n° 2124) renvoie au Conseil constitutionnel, deux questions prioritaires, reconnues « recevables » :

1) Les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° portent-ils atteinte au droit à la santé et au repos garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 en ce qu’ils ont pour effet de priver, à défaut d’accomplissement d’un travail effectif :

  • le salarié en « congé » pour une maladie d’origine non professionnelle de tout droit à l’acquisition de congés payés et,
  • le salarié en congé pour une maladie d’origine professionnelle de tout droit à l’acquisition de congés au-delà d’une période d’un an.

2) Ce L. 3141-5-5° ne porterait-il pas atteinte au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958, en ce qu’il introduit, du point de vue de l’acquisition des droits à congés payés des salariés dont le contrat de travail est suspendu pour maladie, une distinction selon l’origine professionnelle ou non professionnelle de la maladie ?

° ÉCLAIRAGES

- Sur la décision elle-même… le Conseil constitutionnel a tout d’abord écarté la méconnaissance, à l’égard du salarié malade, du droit au « repos ». Il note que lors des travaux préparatoires à la loi, le législateur a souhaité éviter que le salarié, victime d’un accident ou d’une maladie résultant de son activité professionnelle (…), ne perde de surcroît tout droit à congé payé au cours de cette période. Il était donc « loisible au législateur de choisir, au regard de cet objectif, d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle et, de ne pas étendre ce bénéfice aux périodes d’arrêt pour cause de maladie non professionnelle  ». Il était aussi « loisible au législateur de choisir de limiter cette mesure à une durée ininterrompue d’un an ».

Puis, le Conseil constitutionnel écarte la méconnaissance du principe d’égalité. Il rappelle que la maladie professionnelle et l’accident du travail trouvent tous deux leur origine dans l’exécution même du contrat de travail se distinguant alors des autres maladies ou accidents.
Dès lors, « au regard de l’objet de la loi, il est autorisé que le législateur puisse prévoir une différence de traitement en établissant des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé selon le motif de la suspension de leur contrat de travail  ».

Face à ces démonstrations, le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées (L. 3141-5-5° du code du travail) ne méconnaissent pas davantage le droit à la protection de la santé, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
Elles doivent être déclarées conformes à la Constitution.

- Et, au regard de la position de la Cour de Cassation…

Le 13 septembre 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne distinguait pas dans ses arrêts selon l’origine « professionnelle » ou non de l’arrêt de travail pour raison de santé pour reconnaître le droit, sans restriction, des salariés dont le contrat est suspendu à l’acquisition de leurs quatre semaines de congés payés par an, en se fondant sur la directive européenne n° 2003/88 du 4.11.2003.

La Cour pointait par la même occasion que le droit du travail français n’était pas en conformité avec les règles européennes qui ne s’imposent pas moins à l’État français, que sa Constitution.

A ce titre, il aurait pu être rappelé au Conseil (ce qui n’a pas été suffisamment fait…) que la Constitution pose que la République française, fidèle à ses traditions et à ses engagements conventionnels, se conforme aux règles du droit international et européen (14° alinéa du préambule de 1946 intégré dans celui de la Constitution de 1958 et articles 53 et suivants de la Constitution actuelle).

- Au regard des moyens de l’entreprise du litige et de la QPC et des défenses des employeurs par le MEDEF, la CPME et l’U2P, des demandes de la CGT et des salariés, …

Dans sa décision du 8 février 2023, le Conseil constitutionnel ne fait que répondre de manière « restrictive », comme il y avait été invité, en partie, par les avocats des entreprises concernées, par ceux du MEDEF, de la CPME et de l’U2P, le représentant de la Première Ministre, à la question qui lui est posée sur l’inégalité de traitement, au regard de l’acquisition des droits à congé entre maladie pour motif d’origine professionnelle ou non.

Si la constitutionnalité et l’annulation pour non-conformité du 5° du L. 3141-5 du code du travail étaient bien posées, le Conseil constitutionnel n’a « pas invité au débat » et fait appel dans les fondements à sa décision à la question de la conformité à la Constitution du même article aux règles européennes.

La Directive de 2003 ne fait pas partie des textes qu’il a pris en compte et appliqué pour sa décision.
Il ne s’est pas davantage senti lié par les décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 13 septembre, dont il ne s’est pas porté garant directement, en Droit, de l’application, en restant, comme le lui demandaient l’entreprise concernée et les opposants aux décisions de la Cour de Cassation, que sur l’application stricte de la Constitution.

Le repos, la santé et les droits au loisirs, rendus impossibles par la maladie, l’égalité de traitement, les décisions de la Cour de Cassation, bien qu’évoqués dans la QPC, n’ont pas été retenus par le Conseil Constitutionnel comme faisant partie du bloc de constitutionnalité et des principes constitutionnels auxquels la loi porterait atteinte.
L’inégalité de traitement entre maladie simple et accident du travail/maladie professionnelle resterait justifiée au regard des responsabilités de l’entreprise et des risques que celle-ci peut faire peser sur les salariés dans l’accident ou la maladie professionnelle…

Pour les entreprises défenderesses au litige pour lequel la QPC a été posée, ce n’est pas à l’employeur seul d’assurer le poids de la solidarité collective nationale des conséquences de l’arrêt maladie, mais à la Nation (Constitution), dans son ensemble, via la protection sociale (ce que reprennent le MEDEF, la CPME et l’U2P… ).

Les contradicteurs des décisions de la Cour de cassation du 13 septembre invitant préalablement, lors de la présentation de la QPC, dans le même temps, le Conseil Constitutionnel à poser des « recommandations », à « corriger » la position de la Haute Juridiction (voire à la disqualifier… ), à consacrer « l’identité sociale et constitutionnelle de la France », à définir la prescription, mettaient en exergue les 2 à 3 milliards de coûts pour les entreprises et pour la protection sociale et les coûts de la rétroactivité… Rappelant que la Directive de 2003 et la Cour de Justice de l’Union avaient elles-mêmes renvoyé aux décisions des États et évoqué une période de 15 mois d’acquisition des droits

La CGT s’en tenant à l’ancienneté acquise et aux droits aux congés payés s’acquérant à sur la base de l’ancienneté réclamait alors, à l’opposé, le retrait de l’exigence d’un « travail effectif » comme la contrepartie de l’acquisition des droits à congés payés, dans une pure logique d’acquisition des droits à l’ancienneté à laquelle tend la Directive européenne

Le Conseil Constitutionnel n’a pas davantage fait écho à toutes ces demandes. Reprenant dans sa décision les moyens de droit soulevés par la « question » prioritaire de constitutionnalité, le Conseil rappelle lui-même, pour mémoire, que la question devait être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée.

Restant dans le périmètre de Constitution et de la QPC, le Conseil n’a ainsi pas cherché à influencer le positionnement du gouvernement sur un projet de loi de meilleure conformité.

- En considération du sort et de la perspective d’un projet de loi en préparation du gouvernement…

Le gouvernement s’était engagé le 15 novembre à mettre en conformité le droit du travail français à la Directive européenne. N’abordant pas la question du droit européen, la décision du Conseil Constitutionnel continuerait d’obliger le pouvoir législatif à intervenir et à clarifier la position du droit français vis-à-vis du droit européen et le code du travail, au risque de devoir rendre des comptes devant les juridictions européennes…

° DROIT EN ACTIONS…

Les prochains jours seront déterminant sur le sort des droits en cours au regard d’un projet de loi (ou non) et de la poursuite ou de l’exercice (ou non) d’actions en justice, notamment chaque fois que les droits d’agir risqueraient d’être prescrits… La réponse du gouvernement et son projet de loi (ou une proposition de loi des parlementaire) sont donc attendus de tous...

A suivre !

Auteur, Jade EL MARBOUH, Juriste et Christian HERGES, Responsable Juridique, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

(1) Q.P.C. : Question prioritaire de constitutionnalité
(2) Cour de cassation, chambre sociale 13 septembre 2023 : Pourvois n° 22-17.340 (TRANSDEV) à 22-17.342 ; 22-17.638 (Transport Daniel Meyer) ; 22-10.529 (Institut des métiers du Notariat), 22-11.106 (L’Institut national des formations notariales, INFN) donnant effet à l’article 31 § 2 de la Charte des droits sociaux fondamentaux et l’article 7 de la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 de l’Union européenne : acquisition et conservation des droits à congés payés pendant des périodes d’arrêts de travail pour maladie, accident du travail et congés parentaux.
(3) https://www.unsa.org/Le-salarie-continue-d-acquerir-des-droits-a-conges-payes-sans-les-perdre-3002.html
(4) La décision du Conseil Constitutionnel (QPC) du 8 février 2024 :
https://www.unsa.org/IMG/pdf/jo90224decision_cons_constititionnel_qpc_conges_payes_maladie.pdf ; aussi (avec la vidéo de la séance des plaidoiries : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/20231079QPC.htm - à visionner la séance du Conseil Cons).
https://www.unsa.org/Quoi-de-neuf-au-J-O-du-9-fevrier-Composition-du-Gouvernement-Constitutionnalite.html

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