Projet de loi : ‘acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie’ déposé à l’Assemblée Nationale à la suite de l’avis du Conseil d’État du 13 mars 2024...


https://www.unsa.org/3242

Le gouvernement s’était engagé le 15 novembre dernier à mettre en conformité le droit du travail français à la Directive européenne.
N’abordant pas la question du droit européen, la décision du Conseil Constitutionnel le 8 février de conformité du code du travail actuel à la Constitution contraignait le pouvoir législatif à modifier le droit français au droit européen, au risque, à défaut, de devoir rendre des comptes devant les juridictions européennes…

Le premier ministre ayant ensuite saisi le Conseil d’État pour avis sur un projet de loi, celui-ci s’est prononcé le 13 mars 2024 en faveur d’une application du droit européen, en faisant un effort de « cadrage ». Il définit les contours de ce que contient le projet de loi déposé par le gouvernement (amendement n° 44, ci-après) et examiné à l’assemblée nationale le 18 mars 2024…

° AVIS DU CONSEIL D’ÉTAT DU 13 MARS 2024

https://conseil-etat.fr/avis-consul...

Le Conseil d’État donne son avis sur un projet d’amendement. Il valide une limite à quatre semaines d’acquisition (nombre du droit européen) de congés payés quelle que soit l’origine de la maladie professionnelle ou non.
Même si le projet d’amendement prévoit l’acquisition de deux jours ouvrables de congés par mois pendant les périodes au cours desquelles le contrat de travail est suspendu, il pourrait permettre au salarié, dans certains cas, d’acquérir, selon le Conseil d’État, des congés allant au-delà de 24 jours requis par le droit de l’Union européenne. Or, le législateur ne peut, sur la période débutant le 1er décembre 2009, s’écarter des dispositions qui étaient déjà, sur la même période, applicables en raison de l’effet direct du droit de l’Union européenne, précise le Conseil d’État.

S’agissant de la période antérieure au 1er décembre 2009, le Conseil d’État considère qu’une entrée en vigueur rétroactive des nouvelles dispositions ne s’imposerait pas tant au regard du droit interne que du droit de l’Union européenne.

Sur la faculté du report de la prise des jours de congés payés acquis en période de maladie…

La CJUE juge (rappel le C.E.) qu’une législation nationale ne peut prévoir l’extinction automatique des droits à congé annuel acquis par le salarié, à l’issue de la période de référence ou de la période de report, si l’intéressé n’a pas été en mesure de les utiliser. S’agissant de droits acquis antérieurement à une absence pour cause de maladie, le principe selon lequel le travailleur doit avoir été en mesure d’exercer effectivement son droit à congé, fait obstacle à ce que ces droits puissent s’éteindre. La période de report ne débute qu’à la reprise effective du travail.

Au regard de la jurisprudence de la CJUE, requérant une durée de report supérieure à celle de la période de référence pour l’acquisition des droits à congé annuel payé, le Conseil d’État estime qu’il n’est pas possible de fixer, au regard de la durée d’un an retenue par le droit national pour la période d’acquisition des congés, une durée de la période de report des congés acquis au cours d’un arrêt maladie qui soit inférieure à quinze mois :

  • pour les droits à congé acquis antérieurement à la suspension du contrat de travail pour maladie et dont la période d’exécution expire à un moment où le salarié est encore en arrêt de maladie, le début de la période de report doit être ultérieur à la date de reprise, ainsi qu’à celle à laquelle l’employeur aura, après son retour, informé le salarié des droits à congés dont il dispose et du délai dans lequel ces congés doivent être pris ;
  • s’agissant des droits à congé acquis au cours d’une période d’absence en raison d’une maladie, que la période de report peut débuter à la fin de la période d’acquisition des droits, si le salarié n’est pas encore revenu dans l’entreprise.

Le Conseil d’État pose qu’aucune règle de droit de l’Union ne fait obstacle à ce que les durées maxi de report des congés annuels payés soient calculées de la même manière pour les droits acquis avant et après l’entrée en vigueur de la loi.

Prescription…

Le Conseil d’État rappelle que les dispositions de l’article L. 3245-1 du code du travail, qui s’appliquent aux actions en paiement d’indemnité compensatrice de congés payés et se prescrivent par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Et même si la CJUE admet qu’un État membre puisse, y compris pour le passé, adapter sa législation nationale aux règles issues du droit de l’Union européenne et prévoir des dispositions transitoires qui limitent, par un délai de prescription ou de forclusion, la possibilité d’intenter une action sur ce fondement, le Conseil d’État constate également que cette loi de régularisation qui composerait avec l’application de la jurisprudence récente de la Cour de cassation porterait nécessairement sur des droits acquis depuis le 1er décembre 2009 (date d’application réelle de la directive de 2003), qui est celle à laquelle cette jurisprudence s’applique.

Si une telle loi de validation venait écarter, sur tout ou partie de la période écoulée depuis le 1er décembre 2009, dans un sens défavorable aux salariés, les principes issus de la jurisprudence, elle continuerait de violer le droit de l’Union européenne…

° DECISIONS ET AVIS DES JUGES EN ACTIONS : AMENDEMENT 44 DÉPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT.

Projet de loi rendu public et diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne (ci-joint, amendement n° 44)

La décision du Conseil d’État était annonciatrice du projet de loi déjà évoqué le 15 novembre et qui vient d’être déposé au Parlement.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N48908

Le projet de loi prévoit de modifier le code du travail pour permettre l’acquisition mensuelle de jours ouvrables (2) de congés par mois pendant un arrêt maladie non professionnel, le report des congés pendant une durée de quinze mois, l’application rétroactive de ces règles depuis le 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur effective de la directive de 2003.

Une partie de la période de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle ou pour accident du travail ou maladie ordinaire serait assimilée à du travail effectif pour l’acquisition des congés payés (nouveau L. 3141-5).

Si le salarié était dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficierait d’une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser (C. trav., art. L. 3141-19-1, projet de loi) (à partir de sa reprise et dès qu’il est informé de ses droits).

Prévoyant une « « rétroactivité » », les contestations en cours s’aligneront sur les règles nouvelles, sauf à forcer et contester la loi nouvelle, en réclamant le bénéfice de droits plus étendus, ce que permettrait toujours la Directive de 2003.

L’amendement précise que toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l’octroi de jours de congés au titre des arrêts maladie intervenus après le 1er décembre 2009 doit être introduite, à peine de forclusion, dans le délai de deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la future loi.

Pratiques des entreprises ?

Comme déjà évoqué, ce sont donc plutôt les pratiques des entreprises qui sont en capacité d’adapter, temporairement ou durablement, leur gestion des droits à congés payés, suite à ces positions (pour les négociations en cours). Elles le pourront toujours plus rapidement que le législateur national et les décrets d’applications.

Mais, des entreprises attendront toujours nécessairement la publication des textes d’application pour appliquer l’acquisition des droits.

A suivre !

M.A.J., auteur, Christian HERGES, Responsable Juridique, Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.


- RETOUR VERS LE FUTUR : TRIBULATIONS DE LA TRANSPOSITION D’UNE DIRECTIVE EUROPEENNE : RAPPEL D ES GRANDES ETAPES DEPUIS LE 13 SEPTEMBRE ET LES JUGEMENTS DE LA COUR DE CASSATION :

La Cour de cassation en 2013 (n° 11-22.285) énonçait encore que la directive de 2003 ne pouvait être invoquée dans les litiges entre employeurs et salariés. Elle "n’aurait pas eu d’effet direct".

Le tribunal administratif de Montreuil, suivi par la Cour d’appel administrative de Versailles le 30 juin 2020 avait rejeté les actions de syndicats estimant que ceux-ci n’avaient pas établi leur préjudice moral propre.

La CJUE admet que des dispositions nationales peuvent limiter le report dans le temps des congés non pris, à condition que le travailleur ait effectivement eu la possibilité d’exercer son droit à congé annuel payé (CJUE 22 septembre 2022, C.120/21). Une période de 15 mois avait pu être indiquée comme suffisante (CJUE 22 novembre 2011, C.214/10).

La Cour d’appel de Versailles le 17 juillet 2023 opérait le revirement rappelant le défaut de transposition suffisante de la directive européenne dans le droit français. La réforme est donc bien partie des juges du fond, il ne faut donc jamais désespérer de pouvoir agir et faire changer !

- 13 septembre 2023 : Cour de Cassation

La Cour cassation déclarait « non-conformes » au droit européen, pour la première fois, les dispositions du code du travail, qui empêchent toute acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour une maladie ordinaire ainsi que celles limitant l’acquisition des congés en cas d’arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, dépassant une durée d’un an…

- Maladie non professionnelle : jusqu’ici, dans le droit français, de manière dérogatoire, un salarié atteint d’une maladie non professionnelle ne pouvait plus, dans le code du travail, acquérir de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail.
Dans le droit de l’Union européenne, un salarié victime, notamment d’un accident de travail peut continuer d’acquérir des droits pendant la totalité de son arrêt.

- Maladie résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle : du fait de l’origine professionnelle de l’arrêt maladie, le salarié Français conservait une acquisition de droits à congés payés, malgré l’absence de travail effectif, pendant une année seulement (L. 3141-5 du code du travail). Toutefois, il perdait ce bénéfice de droits à des congés payés nouveaux, au-delà de l’année d’acquisition de ses droits, consécutive à l’accident du travail ou à une maladie professionnelle (ce qui était sans doute la situation la plus choquante...).

Pour la Cour de cassation ce n’était que lorsque cette période s’achève que commence à courir le délai de prescription de l’indemnité de congé payé : le délai de prescription de l’indemnité de congé payé ne peut commencer à courir, que si l’employeur a donc pris des mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congé payé et l’en a informé ou y était tenu de l’en prévenir…

Le Conseil d’État fait une réponse dans son avis de mars 2024 au caractère fluctuant du point de départ et à l’échéance de l’exercice des droits.

Dans l’arrêt toujours, la Cour Cassation retient des garanties similaires s’agissant du congé parental et confirme la nécessité pour l’employeur de reporter les congés payés acquis par le salarié, après la date de reprise du travail (Cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-14.043).

- 9 novembre 2023 : Cour de justice de l’Union européenne

Interrogée, elle a retenu qu’il ne lui appartenait pas de définir la durée de report applicable au droit au congé annuel payé, cela incombe à l’État membre concerné.
L’État pouvait selon la CJUE instituer des limites au report du droit au congé annuel lorsque cela s’avère nécessaire pour que la finalité de ce droit ne soit pas méconnue.
Elle rappelait la double finalité du droit : prendre du repos par rapport à l’exécution des tâches de son contrat de travail et avoir une période de détente et personnelle. Ce qui n’est pas possible pendant un arrêt maladie...

  • 15 novembre 2023 : projet de texte en Conseil des Ministres (non rendu public)
    Un texte était en préparation dès le 15 novembre qui annonçait respecter selon le Gouvernement, la directive européenne et la transposer, mais dont le véhicule juridique et les termes restaient à découvrir…

- 8 février 2024 : le Conseil Constitutionnel : l’absence d’acquisition de congés payés en arrêt maladie : contraire au droit européen, mais conforme à la Constitution française !?
https://www.unsa.org/3173

La décision du Conseil constitutionnel relative à la différence de traitement entre l’acquisition de droits à congés payés en cas d’arrêt de travail pour maladie simple ou ayant pour origine un accident du travail et portant sur la constitutionnalité de l’article L. 3141-5 alinéa 5° (suite à une Q.P.C. (1)) était très attendue depuis les décisions de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 (2), prononçant la non-conformité du droit français à la Directive européenne de 2003 (cf. nos analyses des 15 et 16 novembre derniers, sur le site UNSA.org (3)).

Conseil Constitutionnel versus Cour de Cassation et droit européen ?

Dans sa décision du 8 février 2024 n° 2023-1079, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’article L. 3141-3 du code du travail et le 5 ° de l’article L. 3141-5 du même code : en substance, le défaut d’acquisition sans limite de période et de nombre de congés pendant les absences pour cause de maladie non professionnelle et la limitation à l’acquisition des congés pendant des arrêts pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle demeurent conformes à la Constitution.

Elles ne compromettent ni le droit au repos, ni le principe d’égalité, ni le droit à la protection de la santé, ni aucun autre droit ou liberté garantie par la Constitution.

La requérante de la question prioritaire de constitutionnalité du texte reprochait à l’article L. 3141-3 et au 5 ° de l’article L. 3141-5 d’avoir pour effet de priver le salarié, en cas d’absence pour cause de maladie non professionnelle, de tout droit à l’acquisition de congé payé et, de limiter à un an la période prise en compte pour le calcul des congés payés d’un salarié absent pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Mais aussi, une différence de traitement injustifiée avec les salariés en arrêt pour cause de maladie non professionnelle.

Questions posées en novembre au Conseil constitutionnel…

  • Les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° portent-ils atteinte au droit à la santé et au repos garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 en ce qu’ils ont pour effet de priver, à défaut d’accomplissement d’un travail effectif  ? :
    - le salarié en « congé » pour une maladie d’origine non professionnelle de tout droit à l’acquisition de congés payés et,
    - le salarié en congé pour une maladie d’origine professionnelle de tout droit à l’acquisition de congés au-delà d’une période d’un an.
  • Le L. 3141-5-5° porte atteinte au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958, en ce qu’il introduit, du point de vue de l’acquisition des droits à congés payés des salariés dont le contrat de travail est suspendu pour maladie, une distinction selon l’origine professionnelle ou non professionnelle de la maladie ?

Le Conseil constitutionnel a posé que les dispositions contestées (L. 3141-5-5° du code du travail) ne méconnaissent pas davantage le droit à la protection de la santé, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Elles doivent être déclarées conformes à la Constitution.

La Cour de cassation pointait que le droit du travail français n’était pas en conformité avec les règles européennes qui ne s’imposent pas moins à l’État français, que sa Constitution.
L’UNSA avait pu rappeler dans ses commentaires du Conseil Constitutionnel que la « Constitution pose que la République française, fidèle à ses traditions et à ses engagements conventionnels, se conforme aux règles du droit international et européen (14° alinéa du préambule de 1946 intégré dans celui de la Constitution de 1958 et articles 53 et suivants de la Constitution actuelle) ».

La Directive de 2003 ne faisait pas partie des textes que le Conseil constitutionnel avait pris en compte pour sa décision. Il ne s’était pas davantage senti lié par les décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 13 septembre, en restant, comme le lui demandaient l’entreprise concernée et les opposants aux décisions de la Cour de Cassation, que sur l’application stricte de la Constitution. Le Conseil d’État, par son avis le ramène à la réalité de la hiérarchie des normes et à l’autorité des dispositions européennes sur le droit constitutionnel…

Cf. notre analyse détaillée :
https://www.unsa.org/Pas-d-acquisit...

  • Mars 2024 : l’avis du Conseil d’État renvoie au législateur le soin de réformer le code du travail pour le mettre en conformité avec le droit européen.

Ont contribué à chroniques d’analyses :

Auteurs, Christian HERGES, Responsable Juridique, Jade EL MARBOUH et Sophie RIOLLET, Juristes, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

Infographie et jurisprudence citées :

- Q.P.C. : Question prioritaire de constitutionnalité

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