Lettre ouverte à Monsieur Bompard, Président Directeur Général de Carrefour


https://www.unsa.org/2060

Monsieur le Président-directeur général,

Ils sont les premières lignes, étalagistes, hôtes de caisse, chefs de rayons ou responsables de service après-vente. Ils sont plusieurs milliers. Ces femmes et ces hommes travaillent pour votre enseigne. Tous redoutent de subir la régression sociale à laquelle conduisent vos récentes décisions.

Le 14 octobre dernier, ils ont appris, stupéfaits, votre intention de procéder à une nouvelle vague de mise en location-gérance de magasins.

Je dis nouvelle, car elle fait suite à une première salve mise à exécution en avril dernier. 47 magasins avaient alors été concernés, comprenant 37 supermarchés et 10 hypermarchés. Cette fois, ce sont 43 magasins supplémentaires qui sont touchés par ce choix d’externaliser la gestion des magasins vers des gérants indépendants.

Que cette technique contractuelle favorise des prises des décisions au plus près du terrain et de ses réalités, je veux bien le croire.

Elle réalise ce que vous n’avez pu accomplir. Mais, Monsieur Bompard, osez l’avouer sans faux semblant : ce motif est loin d’être le seul à guider votre décision.

Car, en réalité, à l’heure où certains de vos magasins connaissent des difficultés financières croissantes, le contrat de location-gérance est également un moyen commode pour votre groupe de se délester des coûts d’exploitation inhérents au fonctionnement de ses magasins.

C’est là où le bât blesse.

Il blesse, car en agissant ainsi, vous ne mettez pas seulement en gérance vos magasins. Vous en faites de même avec la situation sociale des salariés.

Une fois encore, osons nous dire les choses clairement. Si les salariés de Carrefour appréhendent autant les conséquences sociales de cette stratégie d’externalisation qui ne dit pas son nom, c’est parce que l’expérience leur a appris que la location-gérance relève davantage du moins-disant que du progrès social et qu’ils servent de variable d’ajustement.

Elle se traduit pour eux par trois destitutions : la sécurité de l’emploi condition de la stabilité du groupe Carrefour, la fierté d’appartenir à un fleuron français et, enfin, l’ensemble des bénéfices contenus dans les accords d’entreprise en vigueur chez Carrefour.

Baisses d’effectif, horaires à rallonge, primes de vacances gelées, remises sur achat perdues dans certains magasins, délais de carence plus que doublés, décote du montant des tickets restaurants, incertitude autour de l’intéressement et même grignotage de l’indemnité-grossesse ou encore suppression de la sixième semaine : vos anciens salariés passés en location-gérance ne comptent plus les entorses à l’accord de clause sociale que vous avez conclu. Nous sommes passés de la clause à la casse sociale.

Vous avez fait le choix du passage en force, de la réorientation stratégique éclair, sur un mode comptable peu soucieux du sort des salariés.

Pourtant, Carrefour n’est pas un groupe à l’agonie.

Je veux croire que des marges de manœuvre existent. Vous-même, vous l’affirmiez explicitement le 28 juillet dernier, à l’occasion de la publication des résultats semestriels. Je vous cite : « Alors que le contexte sanitaire et macro-économique reste incertain, le Groupe avance avec une grande sérénité vers l’atteinte de ses objectifs, à la fois pour l’exercice 2021, qui constituera une nouvelle année record en termes de génération de cash, et pour le moyen terme ».

Alors, que s’est-il passé entretemps ? Pourquoi cette nouvelle vague de location-gérance synonyme de régression sociale pour la plupart des salariés concernés ? Pourquoi mettez-vous autant d’empressement à les évacuer de ce que beaucoup d’entre eux considèrent comme leur « maison », leur « Carrefour » ?

Vous savez, je discute souvent avec les salariés. Ceux de votre groupe, je les ai rencontrés au cours des dernières semaines.

Tous se posent les mêmes questions : pourquoi les magasins déficitaires deviendraient-ils automatiquement rentables une fois en location-gérance ? Pourquoi les repreneurs-gérants auraient-ils la capacité de réussir le redressement économique des magasins concernés, et pas Carrefour ? Pourquoi réussiraient-ils là où vous avez échoué ?

Comment un groupe en bonne santé financière au point de se permettre d’augmenter son dividende de 109 % en 2021 ne pourrait-il pas déceler et corriger lui-même les problèmes de gestion logistique et commerciale affectant le fonctionnement des magasins ?

Vous arguerez, comme votre rôle l’exige, de la nécessité de préserver les emplois à long-terme, du besoin de corriger les fragilités structurelles du groupe ou exciperez tout simplement l’état financier de vos magasins les plus en difficulté.

Je vous répondrai que vous êtes loin, très loin d’avoir tout essayé pour conserver vos salariés.

Je vous répondrai que vouloir s’attaquer aux faiblesses de l’entreprise n’est pas un problème, mais que saper les droits sociaux de milliers de salariés sans avoir tout essayé l’est bien davantage.

Qu’il est encore temps de renoncer à cette nouvelle vague de location-gérance, de résilier les contrats déjà passés et d’instaurer un moratoire, le temps de construire, ensemble, des solutions de redressement au cas par cas pour chacun des magasins en difficulté.

Qu’au cours des semaines et mois à venir, syndicats et salariés redoubleront d’attention et de mobilisation face aux écarts entre votre parole et vos actes.

Qu’ils ne se satisferont pas de mesures de compensation provisoires.

Qu’ils se mobiliseront pour maintenir leurs droits et ceux des nouveaux embauchés.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président-directeur général, l’expression de mes salutations syndicales.

Laurent Escure, Secrétaire Général de l’UNSA

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