Reconnaissance des temps de trajet missionné des itinérants se rendant chez leurs clients ? Au cas par cas...
N’en déplaise à la législation française, le temps de trajet domicile-client des salariés itinérants est bien, sous certaines conditions, du temps professionnel !
Rappel du jugement de la Cour de cassation, qui considérait jusqu’ici le temps de trajet domicile-client des salariés itinérants comme étant du temps personnel...
JURISPRUDENCE SOCIALE
A propose de la décision : Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 20-21.924 versus Cass.soc. 25.10.23, n°20-22.800.
https://www.courdecassation.fr/file...
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
https://www.courdecassation.fr/publ...
Selon le Code du travail, le temps de travail effectif est défini dans l’article L. 3121-1 comme “ le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur, se conformant à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles “. C’est donc un temps où le salarié est à l’entière disposition de l’entreprise qui l’emploie...
Si le temps de déplacement professionnel au départ du domicile ou du retour, incluant le temps et la distance du trajet faits tous les jours non déplacés pour se rendre au travail et en revenir, est supérieur à celui du trajet entre le domicile et le lieu de travail habituel, l’entreprise devra verser une contrepartie à l’employé(e). Ce surplus de temps de trajet pour se rendre chez le client ou sur un autre site de travail est assimilé à du temps de travail et génère une rémunération.
Lorsque le voyage se fait sur plusieurs jours, le salarié ne peut pas regagner son domicile à la fin de sa journée de travail.
Dans cette période de transport, le salarié dédie son temps à l’entreprise et n’est pas libre, même s’il peut se déconnecter, se reposer faire autre chose, mais dans un cadre et contexte contraints (temps d’attente, impossibilité de se mouvoir dans les moyens de transports, de se restaurer convenablement en temps et en qualité, ... Le caractère "personnel" et privé des occupations demeure limité).
Pour autant, le temps à l’hôtel ou celui du repas au restaurant ne sont pas à considérer logiquement comme du temps de travail effectif.
Cela rappel de vieux débats lors de la mise en place des 35 heures au cours desquels des organisations voulaient un décompte des temps et des kilomètres du trajet dès la sortie de la porte d’entrée de son domicile : "je n’aurais pas quitter mon chez-moi si je n’avais pas eu une obligation de travailler !", oubliant par la même que le choix de lieux de vie et de travail dépend essentiellement et souvent de choix personnels ou ne sont pas imputables à l’entreprise, sauf lorsqu’elle modifie les lieux de travail...
° APPORTS DE LA COUR DE CASSATION :
Saisie à plusieurs reprises sur ce point, le juge français refusait de qualifier le temps de déplacement des travailleurs itinérants, pour se rendre sur les sites du premier client désigné par l’employeur, comme du temps de travail. Il en allait de même pour le trajet retour, entre le site du dernier client et le domicile.
Ce refus de qualification en temps de travail trouvait sa source et son fondement dans l’article L. 3121-4 du code du travail, lequel dispose que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif ». Assez logiquement donc, le juge refusait de qualifier ce temps que comme des temps personnels hors temps de travail… Désormais, une page se tourne.
° POURQUOI " ?
2022 : le salarié itinérant doit être considéré comme "temps de travail", pour les trajets domicile lieu d’exercice de l’activité professionnelle, dans le cadre des rendez-vous avec les premiers et derniers clients...
En réalité, la Cour de cassation a opéré une modification du fondement juridique mobilisé pour justifier sa décision. En se référant à l’article L 3121-1 du Code du travail, à l’exclusion de L. 3121-4, la considération change du tout au tout : « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
Ce choix de revirement volontaire de la Cour de cassation est motivé par le souci de respecter le contenu de la directive 2003/88/CE relative au temps de travail....
° ECLAIRAGE :
° 2022 : La Cour de cassation admet que l’article L. 3121-4, toujours en vigueur sur le temps de déplacement, est contraire à la directive.
Poids et portée évolutive d’une directive européenne de 2003...
En réalité, jusque là le juge français faisait prévaloir la loi et considérait que la directive européenne de 2003 n’était pas d’effet direct. Dit autrement, les juges lui déniaient la capacité de s’imposer à la loi française.
On le voit donc, le mouvement des juges vers la prise en compte de la directive européenne dans les décision de septembre 2023 et septembre 2025 (maladie et congés payés) est amorcé maintenant depuis plusieurs années.
° 2023 : la qualification comme temps de travail effectif des temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et ses premiers ou dernier clients n’est pas systématique.
Par une analyse concrète, le juge détermine si le salarié est à la disposition de l’employeur et s’il ne peut vaquer librement à ses occupations. Dans le cas contraire, ces temps ne peuvent être considérés comme du temps de travail effectif. C’est ce qu’a décidé la chambre sociale dans un arrêt du 25 octobre 2023, faisant suite au revirement de jurisprudence du 23 novembre 2022 (Cass.soc. 25.10.23, n° 20-22.800).
Analyses devant être opérées, exemple en 2023 :
- un interrupteur « vie privée » sur le véhicule permettait au salarié de désactiver la géolocalisation ;
- le salarié pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles avant le premier rendez-vous et après le dernier.
- il avait l’initiative de son circuit quotidien ;
- les contrôles de l’employeur n’étaient que rétrospectifs et se justifiaient, selon les juges, dès lors que l’employeur avait mis en place un dispositif d’indemnisation des trajets anormaux ouvrant droit à indemnisation au-delà de 45 minutes ;
- les « soirées étapes » pouvait être choisies par le salarié et n’étaient imposée par l’employeur que pour éviter de trop longs trajets, et non pas pour maintenir le salarié à sa disposition...
On comprendra néanmoins que ces "libertés" puissent être apprécier différemment par chaque travailleur itinérant... Par le juge... Et cela peut aussi être justice !
La C.J.U.E. le 9 mars 2021 améliore les droits des itinérants...
La décision rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), le 9 mars 2021 (Radiotelevizija Slovenija, C-344/19), est venue poser en son 31e paragraphe, le principe selon lequel les notions de temps de travail et de repos ne peuvent être déterminées unilatéralement par les Etats : ceux-ci doivent se conformer aux dispositions fixées par la directive sur le temps de travail.
Les hauts magistrats français ne font qu’anticiper ce qui devenait inéluctable, dès lors que le litige serait porté devant les instances de l’Union.
Et le juge français ?
« Lorsque les temps de déplacement accomplis par un salarié itinérant, entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu’elle est fixée par l’article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 du même code ».
° DROIT EN ACTIONS
Un salarié itinérant qui est en déplacement, partant de son domicile vers un rendez-vous client en se conformant aux directives de son employeur, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, devra être considéré comme en déplacement professionnel et en temps de travail, rémunéré comme tel.
On peut regretter que cette jurisprudence reste fondée sur la défiance dans les relations de travail et que des déclaratifs des temps contraints et de temps plus libres ne permettent pas de résoudre ces litiges.
Aux parties au contrat de travail de convenir loyalement ce qui peut être décompté et pris en compte, même si l’entreprise à plus à perdre...
Secteur Juridique National de l’UNSA.
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