C.E.D.H. 7 mai 2024 n°49014/16 c. A.K. c. Russie : chronique d’une atteinte aux libertés fondamentales...
Orientation sexuelle et Cour Européenne des Droits de l’Homme, quelle liberté en Europe ? Cette décision doit faire jurisprudence...
C.E.D.H., 7 mai 2024 n°49014/16 - A.K. c. Russie
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FAITS :
Une enseignante Russe en musique dans une école publique de Saint-Pétersbourg accueillant des enfants ayant des besoins particuliers, a été convoquée en novembre 2014 à une réunion durant laquelle elle a été informée de l’existence d’un « dossier » sur sa vie privée constitué par l’organisation non gouvernementale « Parents de Russie ».
Ce dossier était basé sur une recherche approfondie sur les réseaux sociaux laissant apparaître des photos d’elle embrassant d’autres femmes et levant le majeur devant l’objectif.
A la suite de ce dossier, elle a été priée de démissionner en raison de sa « propagande en faveur d’une orientation sexuelle non traditionnelle » considérée comme jetant « le discrédit sur la vocation d’enseignant ». Ce qu’elle refusa. Pour elle, personne ne s’est jamais plaint de sa conduite auparavant ce qui n’empêcha pas son licenciement au début du mois de décembre 2014 pour des « actes immoraux incompatibles avec la poursuite d’activités d’enseignement ».
PROCÉDURE :
Logiquement mécontente de cette décision, l’enseignante a saisi le tribunal du district Kirovskiy de Saint-Pétersbourg en avril 2015. Celui-ci la débouta en se basant sur les arguments des autorités scolaires pour qui une personne en charge de « l’éducation des enfants » ne devrait pas se livrer à des actes immoraux. Tout aussi mécontente, elle a fait appel et formé deux pourvois en cassation, sans plus de réussite.
LA C.E.D.H. :
C’est alors qu’elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme le 10 août 2016, en invoquant d’abord l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) relatif au respect de la vie privée et familiale, ainsi que l’article 14 de cette même convention, relatif à l’interdiction de la discrimination, alléguant que son contrat avait été résilié en raison de son orientation sexuelle...
Pour rendre son arrêt, la Cour se juge dans un premier temps, compétente, car même si la Russie a cessé d’être partie à la Convention européenne le 16 septembre 2022, les faits ont eu lieu avant cette date.
Dans un second temps sur le fond, la Cour a considéré qu’il y avait une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée de l’enseignante, la question qui se pose alors est celle de la proportionnalité de la sanction et de la discrimination éventuelle au regard de l’orientation sexuelle ?
Et, pour y répondre, la Cour a considéré que les photos justifiant le licenciement n’étaient pas obscènes, le licenciement était donc « manifestement disproportionnée au but de la protection de la morale ».
Elle a ajouté que l’orientation sexuelle d’un individu ne pouvait être isolée de l’expression publique et privée de celle-ci, qui relève de la protection de la vie privée au sens de l’article 8.
La réaction hostile de l’employeur à ces publications n’est ni plus ni moins qu’une non-acceptation par lui de l’orientation sexuelle de l’enseignante.
En conclusion, le licenciement a donc porté une atteinte disproportionnée à ses droits fondés sur le respect de la vie privée au seul motif de son orientation sexuelle. C’est pourquoi la Cour a conclu à la violation de la CEDH, et a condamné la Russie à lui verser notamment 6 500 euros pour dommage matériel et 10 000 euros pour dommage moral.
Un message clair, sans équivoque, indispensable et un acte de résistance à l’attention des États liberticides et attentatoires des droits des travailleurs LGBT.
Louis BERVICK, Juriste en Droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.