DÉFENSE DES DROITS : AUX GRANDS MAUX DE LA JUSTICE LES MAUVAIS REMÈDES...


https://www.unsa.org/4558

A propos du projet de restauration du droit de timbre pour agir devant le Conseil de Prud’hommes et la mise en cause du droit de faire appel du décret « RIVAGE » (*)...

(« (*) Rationalisation des Instances en voie d’Appel pour en garantir l’Efficience »)

PLAIDOYER POUR SATISFAIRE LA DEMANDE DE JUSTICE DES TRAVAILLEURS !

« Puisque l’offre de justice ne répondrait pas à la demande… »

Le constat est unanime : l’institution judiciaire va mal, et la justice du travail ne fait pas exception.

Pourtant, on s’affaire au chevet du malade et ce ne sont pas les remèdes qui manquent. Les conseillers prud’hommes et les salariés en litiges avec leurs employeurs en savent quelque chose.

Suppression en 2008 de 62 Conseils de prud’hommes, recours "débridés" depuis la même année 2008 de mise en place de la rupture conventionnelle, complexification de la procédure en imposant, en 2016, la "saisine par requête", réduction en 2017 des délais de prescription et mise en place d’un barème d’indemnisation plafonné, incitation permanente à privilégier la médiation, parfois assortie d’une menace de sanction, voire demain, l’intelligence artificielle… Nombre de salariés découragés ont déjà renoncé à recourir à la justice prud’homale.

Entre 2013 et 2024, le nombre annuel d’affaires nouvelles est passé de 206063 à 118200 ! Et, malgré cette chute spectaculaire, le délai moyen de traitement s’est encore allongé, passant de 9,9 mois en 2009 à 15,8 mois en 2024, auxquels s’ajoute fréquemment 1 an en cas d’appel !

Le code du travail fixe pourtant au CPH des délais maxima pour traiter certaines affaires : 1 mois pour une demande de requalification de CDD (article L. 1245-2), 7 mois pour la contestation d’un licenciement pour motif économique (articles R. 1456-2 et R. 1456-4), … Et, aussi, l’article R. 1454-29 du code du travail, impose de tenir l’audience de départage dans le mois suivant le Bureau de jugement alors que dans certains conseils le délai dépasse un an !

Et, comme on ne peut pas tenir davantage d’audiences, faute de personnel dans les greffes, faute de disponibilités dans des locaux, souvent exigus et vétustes, certains juges en viennent à limiter les temps de plaidoirie, attentant une fois encore aux droits fondamentaux des justiciables.

La Convention européenne des droits de l’homme garantit pourtant à chaque justiciable le droit d’être jugé dans un délai raisonnable au cours d’un procès équitable. On en est loin et on peut légitimement supposer que l’objectif de ces réformes est autre…

« Réduisons donc la demande ! »

Le bon sens en effet voudrait que le service public de la justice réponde aux attentes de celles et ceux qui font appel à lui et que l’on remédie à l’engorgement des conseils de prud’hommes par une augmentation notable de leurs moyens, c’est-à-dire en adaptant l’offre de justice à la demande.
Le gouvernement persiste dans une logique inverse en s’efforçant de réduire la demande de justice.

C’est l’analyse partagée par le secteur juridique de l’UNSA et le réseau d’avocats APPUI UNSA d’avocats partenaires du Syndicat, réunis le 18 décembre dernier.

Les réformes récentes avaient atteint leur but : dissuader les salariés de s’adresser à la juridiction prud’homale. Pourquoi, alors, s’arrêter en si bon chemin ?

L’accès au juge avait déjà été rendu plus difficile par la diminution du nombre de CPH et la complexification de la procédure de saisine ; il s’agirait désormais de le rendre payant avec un "droit" d’accès payant à la justice !

En effet, un projet inscrit dans la loi de finances instaure une taxe de 50 € dont devra s’acquitter quiconque décide de saisir une juridiction civile. Vieille idée mise en place en 2011 par le gouvernement de François Fillon et abrogée en 2014 par celui de Manuel Valls. Et aujourd’hui comme hier, du Conseil National des Barreaux au Syndicat de la Magistrature, en passant par les organisations syndicales de salariés, la mesure soulève une virulente réprobation.

Indépendamment du principe même de l’obligation de payer pour accéder au service public de la justice, indépendamment de toutes les contestations de nature juridique, comment ne pas relever que 50 €, c’est beaucoup pour une smicarde à temps partiel qui vient réclamer un salaire impayé !

Pour autant, il ne faudrait pas que le caractère profondément injuste de cette proposition agisse comme un chiffon rouge détournant la colère et l’indignation d’autres mesures nichées dans des projets de décrets et encore plus lourds de conséquences.

Ainsi, le projet de relèvement du taux de ressort des conseils de prud’hommes qui passerait de 5000 € actuellement à 10000 €.

On aurait tort de s’en réjouir au motif que le pourvoi n’étant pas suspensif, les condamnations sont immédiatement exécutoires, quelle que soit la nature des sommes allouées !

D’abord, parce qu’on peut raisonnablement craindre que le collège employeur y voit un nouveau prétexte à la limitation drastique du montant des indemnités, pour ne pas mettre en péril la trésorerie des entreprises.
Ensuite, parce que le juge dispose du pouvoir d’écarter l’exécution provisoire de droit, à la demande d’une partie ou d’office et que cet article 514-1 du code de procédure civile risque de s’inviter fréquemment dans les délibérés et de devenir un motif supplémentaire de départage.
Enfin, parce que nombre de salariés hésiteront à prendre le risque de cette exécution immédiate en craignant de voir leur jugement favorable infirmé par la cour de cassation et d’être dans l’obligation de rendre les sommes perçues.

… et si ça ne suffit pas, « on réduira encore l’offre de justice ! »

Mais, ce relèvement va également contribuer à renchérir encore le coût d’un procès prud’homal. En effet, qui, ayant demandé 11000 € et en ayant obtenu 6000 sera prêt à payer 4500 € un avocat à la cour de cassation pour, au mieux, récupérer 5000 € ?

Quant à ceux déboutés parce que le juge aura apprécié, en leur défaveur, les faits de la cause sans faire pour autant une inexacte application de la loi, il leur restera les yeux pour pleurer car la décision ne sera pas susceptible de pourvoi !

En pratique, des justiciables seront privés de la garantie essentielle d’un second degré de juridiction, celui qui répare les erreurs, les manquements, les biais subjectifs des premiers juges… et corrige parfois les effets des mandats impératifs.

L’institution judiciaire et les magistrats sont déjà en butte à des attaques quasi-quotidiennes plus qu’aimablement accueillis par quelques micros médiatiques et quelques oreilles politiques.

On risque fort d’entendre aussi de plus en plus fortes et nombreuses les voix de celles et ceux qui ne comprennent pas que de subtiles arcanes de procédure leur interdisent de faire pleinement valoir leurs droits ou qui voient leurs préjudices réduits aux proportions d’une aumône.

Alors, c’est sûr, moins d’affaires devant les prud’hommes, moins d’appels et moins de pourvois, ça devrait améliorer les statistiques, au prix d’une remise en cause d’un service public qui semble en voie de renoncer à assurer à chacune et chacun une justice de proximité, gratuite, rapide, équitable, sans chausse-trapes de procédure.

Devant ces menaces, les juristes, les praticiens du droit, les conseillers prud’hommes, les défenseurs syndicaux et les conseillers du salarié, le secteur juridique national et le réseau APPUI UNSA poussent le même cri d’alarme. Ce cri que poussent aussi les plus hauts magistrats français.

« Attendre dix-huit mois pour un appel en matière sociale, je n’appelle pas ça une justice de qualité » nous rappelait Chantal ARENS, présidente de la Cour de cassation - « Le Monde », le 30 juin 2022.

« La justice s’est éloignée du justiciable car les délais sont importants, et les procédures se sont complexifiées. Avec une réalité : une justice moins accessible, qui n’a plus le temps d’écouter les justiciables » François MOLINS procureur général près la Cour de cassation « Le Monde 20 février 2024 ».

Secteur Juridique National UNSA,
juridique@unsa.org

Image, crédit Freepik

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