"Délégation de pouvoir" ou ne décide pas du licenciement qui veut !
Par cet arrêt en date du 8 janvier 2025, la Cour de cassation se prononce sur le formalisme d’une délégation de pouvoir en cas de licenciement, et ses effets sur celui-ci.
JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION :
A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 2025 n° 23-12.462, ci-joint
Juge...
La Décision :
« Aucune disposition légale ou réglementaire n’autorisait le directeur de l’IRSN à déléguer son pouvoir de licencier . C’est dès lors à bon droit que la cour d’appel, après avoir constaté que la lettre de licenciement n’avait pas été signée par le directeur général de l’établissement, mais par le directeur des ressources humaines, lequel n’avait reçu délégation de signature que postérieurement à la notification du licenciement, en a déduit, nonobstant les dispositions de l’article 4-402 de l’accord d’entreprise, que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse »
Faits...
Une femme a été engagée comme ingénieure par le Commissariat à l’énergie atomique. Son contrat a ensuite été transféré à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (l’IRSN), établissement public à caractère industriel et commercial, avant qu’elle ne soit licenciée pour faute grave, en raison de son "comportement managérial", jugé intrusif et directif.
Elle a saisi la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement, invoquant une discrimination liée à son état de santé et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Procédure...
Le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a fait droit à sa demande et jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- sur le fond, pour le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et,
- sur la forme car le directeur des ressources humaines n’avait pas qualité pour signer la lettre de licenciement sans délégation de signature valide.
L’IRSN a donc interjeté appel, mais la Cour a fait droit à la demande de l’ancienne salariée et confirmé, idem, le licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, occasionnant le paiement de diverses sommes.
Pour la juridiction, la délégation de signature n’était pas en vigueur au moment de l’envoi de la lettre, donc le licenciement ne peut être valide, et l’employeur n’ayant pas mis en place une visite médicale en retour d’arrêt maladie n’a pas rempli ses obligations envers sa salariée.
L’IRSN a donc saisi la Cour de cassation, arguant que le directeur général peut déléguer son pouvoir de licencier conformément aux articles R. 592-13 et R. 592-23 du Code de l’environnement (!?), et aux dispositions conventionnelles internes, même tacitement. Et ce, notamment car un accord d’entreprise de 2015 précisait que le licenciement peut être prononcé par le directeur général ou son représentant, impliquant une possible délégation.
La question qui se pose avant tout dans ce cas est de savoir dans quelle mesure une délégation de pouvoir est-elle indispensable à la régularité d’un licenciement ?
° ECLAIRAGES :
La Cour de cassation, qui d’abord confirme le contenu des dispositions citées par l’entreprise, n’en fait pourtant pas la même analyse. Pour elle, une délégation de pouvoir formelle et antérieure au licenciement est nécessaire pour qu’une tierce personne, dans le cas présent le DRH, puisse signer la lettre de licenciement.
Dans ce cas, la délégation a été publiée après. Donc, le pourvoi doit être rejeté, l’absence de délégation de signature formelle publiée avant le licenciement confirme celui-ci comme étant sans cause réelle et sérieuse.
° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?
Pour rendre cet arrêt, la Cour de cassation s’est basée sur :
- l’article R. 592-13 du Code de l’environnement qui prévoit notamment que « Le directeur général de l’établissement […] assure la direction administrative et financière de l’établissement. Il exerce la direction des services et a, à ce titre, autorité sur le personnel. Il conclut les contrats de travail, recrute et licencie les salariés de toutes catégories. […] Il peut déléguer sa signature ».
- Puis l’article R. 592-23 du même code selon lequel : « Les conditions générales d’emploi et de travail ainsi que les garanties sociales des salariés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire soumis au droit privé sont précisées par un accord d’entreprise conclu avec les organisations syndicales représentatives ».
- Ensuite, un accord d’entreprise par lequel les parties ont convenu à l’article 4-402 que « tout salarié à l’égard duquel est envisagé un licenciement doit être reçu par le directeur des ressources humaines, ou son représentant, puis que le licenciement est prononcé par le directeur général, ou son représentant ».
- Enfin, elle s’appuie sur l’article 13 du règlement intérieur pour lequel « les sanctions sont prononcées par le directeur général, après avis du conseil de discipline, lui-même présidé par le directeur délégué aux ressources humaines, ou son représentant, et après un entretien avec celui-ci ».
° DROIT EN ACTIONS :
Cette décision est à mettre en perspective avec d’autres, comme notamment lorsque la Cour a jugé qu’aucune « disposition n’exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit ; elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement » (Cass. Soc, 11 mars 2020 n° 18-25.999), ou encore que « le salarié avait été licencié par le directeur général de la société mère qui supervisait ses activités, en sorte qu’il n’était pas une personne étrangère à la société […] le licenciement était régulier, quand bien même aucune délégation de pouvoir n’aurait été passée par écrit » (Cass. Soc, 13 juin 2018 n°16-23.701).
Tout en précisant effectivement que « l’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse » (Cass. Soc, 25 septembre 2013 n°12-14.991).
Quand une entreprise se fixe une procédure de délégation écrite, elle ne peut se fonder sur une application "tacite", qu’elle s’y tienne...
Louis BERVICK, Juriste en Droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA
Pour toute question, juridique@unsa.org