Des pratiques managériales d’entreprise sanctionnées par la reconnaissance du délit de « harcèlement institutionnel »
Il aura fallu plus de 15 ans de procédure pour que la Cour de cassation (Cass. soc. 21 janvier 2025, n° 22-87.145) à l’occasion du procès France Télécom, consacre une nouvelle forme de harcèlement travail appelé « harcèlement institutionnel ».
JURISPRUDENCE HARCÈLEMENT
À propos de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, Cass. soc. 21 janvier 2025, n° 22-87.145, jugement de France Télécom et de pratiques de harcèlement moral au travail qualifié « harcèlement institutionnel ».
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
° Vers la fin des situations de managements toxiques, indignes et inhumains promues et partagées par des encadrants dans une même entreprise ?
Dans cette affaire, entre 2006 et 2009, une soixantaine de suicides et tentatives de suicides sont constatés au sein de France Telecom. Au cœur de ces événements : deux plans de restructuration visant à supprimer 22 000 postes de salariés ou agents et en contraindre 10 000 à une mobilité interne.
Une organisation syndicale dépose plainte pour harcèlement moral à l’encontre de la Société et de trois de ses dirigeants. Leur stratégie qualifiée de « brutale » aurait conduit certains employés à une détresse psychologique extrême.
Le 30 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris confirme la culpabilité des anciens dirigeants. Ces derniers contestent cette décision et forment un pourvoi en cassation.
À l’appui de leurs arguments, les trois éléments constitutifs de l’infraction sont mis en exergue :
- Sur l’élément légal, les dispositions du code pénal ne visent pas explicitement le harcèlement moral institutionnel, mais le harcèlement moral au travail, qui ne peut être reconnu qu’entre l’auteur de l’agissement et une ou plusieurs personnes déterminées.
Les dirigeants se défendront en invoquant une "violation du principe de prévisibilité de la loi pénale" garantie par l’article 7 de la CEDH : le harcèlement moral institutionnel n’étant pas reconnu au moment des faits, il ne pouvait pas être prévenu et anticipé par la politique d’entreprise et des mesures de prévention... (le manque des outils de préventions comme excuse de l’incapacité à agir contre des dérives de managers et un mal-être pourtant exprimé !?).
- Sur l’élément matériel, les prévenus contestaient la mise en œuvre d’une politique (volontariste et généralisée !?) de gestion du personnel harcelante ; (la multiplication des alertes n’était-elle pas suffisante ?)
- Sur l’élément intentionnel, les dirigeants estiment ne pas avoir eu conscience des conséquences de leurs pratiques sur les salariés (!?).
° Lorsque les pratiques managériales oppressantes deviennent systémiques...
La Cour de cassation rejette la défense des dirigeants. Dans un premier temps, la Haute juridiction admet que la notion de harcèlement institutionnel entre bien dans le champ du harcèlement moral au travail. Elle juge que l’élément légal du harcèlement moral n’exige pas que les faits s’inscrivent dans une relation interpersonnelle ou visent une victime déterminée. Ce qui compte c’est que les dirigeants et les victimes appartiennent à la même communauté de travail et que les décisions des dirigeants aient entrainé une dégradation des conditions de travail des salariés concernés.
Dans un second temps, la Cour de cassation reconnait la culpabilité des dirigeants, estimant qu’ils ont adopté une conduite constitutive de « harcèlement institutionnel » par leur politique décidée au plus haut niveau. Pour les juges, leurs décisions démontraient une conduite du groupe dépassant les limites admissibles de leur pouvoir de direction et de contrôle respectif. Les méthodes employées visaient un objectif de « déflation des effectifs » et mettaient en place « un crash program », dispositif destiné à accélérer les départs.
Enfin, rejet de l’argument du "caractère imprévisible du harcèlement institutionnel" : le harcèlement moral n’a jamais été interprété comme exigeant une relation directe et individualisée entre le harceleur et ses victimes.
La notion de harcèlement moral institutionnel ne crée pas une nouvelle infraction, ne modifie pas le cadre juridique du harcèlement mais constitue une application d’une infraction déjà existante. Une étape majeure contre les dérives arbitraires et systémiques du management…
Beaucoup de salariés dans les entreprises se "retrouveront" dans cette dénonciation d’une hiérarchie abusive, harcelante, toxique, toute puissante, oppressante... Une décision de la Cour de cassation que l’UNSA ne manquera pas de rappeler aux entreprises dans lesquelles des hiérarchiques utilisent le moral des salariés comme levier de gestion des ressources humaines et des effectifs, notamment dans des contextes de plans de départs ou de discrimination...
Secteur Juridique National UNSA, juridique@unsa.org