Heures de délégations : le juge des référés n’est juge que des modalités d’utilisation des heures de délégations pour l’exercice de son mandat...


https://www.unsa.org/2708

L’employeur ne peut exiger devant le juge des référés la justification de l’opportunité de l’utilisation, hors temps de travail, des heures de délégation au regard du mandat mis en oeuvre... Encore des nuances à bien décrypter...

JURISPRUDENCE SOCIALE

Des précisions sur l’utilisation des heures de délégation en dehors du temps de travail

A propos de Cass, soc, 5 avril 2023, n° 21-17.851
https://www.courdecassation.fr/decision/642d11b3cb8fa004f57d9eb9

° EN BREF...

En vertu des articles L. 2315-10 et L. 2143-17 du Code du travail, les heures de délégation des représentants du personnel sont considérées comme du temps de travail et payées à l’échéance normale.

Elles peuvent être utilisées pendant le temps de travail, mais aussi en dehors de l’horaire normal lorsque les nécessités du mandat le justifient.

Concernant leur paiement, l’employeur doit automatiquement les payer même s’il doute de leur bonne utilisation car les heures de délégation bénéficient d’une présomption de bonne utilisation (Cass. soc., 9 nov. 2022, nº 21-16.685).

La Cour de cassation estime de façon constante que l’employeur peut saisir la formation des référés pour obtenir du représentant du personnel l’indication de ses activités pendant son temps de délégation (Cass. soc., 8 juill. 1992, nº 90-43.980 P).

La question posée dans la décision du 5 avril 2023 était de savoir si l’employeur pouvait également saisir la formation des référés pour qu’il soit ordonné au salarié de préciser les nécessités d’un mandat qui l’oblige à exercer ses heures de délégation en dehors du temps de travail ?

° FAITS POUR LESQUELS LES JUGES ETAIENT SAISIS...

En l’espèce, un salarié bénéficiait d’un crédit d’heures mensuel de 18 heures au titre de son mandat de membre titulaire du collège cadre, d’une délégation unique du personnel et de 12 heures au titre de son mandat de délégué syndical. Ces heures avaient été intégralement utilisées en dehors de son temps de travail.

L’employeur avait alors saisi le juge des référés de plusieurs demandes  :

  • obtenir du juge des référés qu’il ordonne au salarié, sous astreinte, de préciser les dates et heures de délégation et d’indiquer les activités exercées durant son crédit d’heures ;
  • obtenir du même juge, qu’il ordonne au salarié la justification par le salarié de la nécessité d’utiliser ses heures de délégation en dehors de son temps de travail.

Sur la demande de précisions des dates et heures ainsi que sur les activités exercées durant son crédit d’heures : la cour d’appel accède à la demande de l’employeur, estimant que le "tableau produit par le représentant du personnel, qui déclinait mois par mois ses heures de délégation et ses activités au titre de ses mandats, était insuffisamment précis".

Le salarié conteste cette décision, reprochant au juge d’avoir excédé son pouvoir et inversé la charge de la preuve en lui ordonnant, à lui salarié, de fournir la justification de l’utilisation de ses heures de délégation.

Sur la justification de la nécessité de l’utilisation du crédit d’heures en dehors du temps de travail...

La cour d’appel reconnaissait donc bien fondée la demande de l’entreprise et condamnait le salarié à justifier des nécessités du mandat l’obligeant à utiliser l’intégralité de ses heures de délégation en dehors de son temps de travail .

Le salarié forme un pourvoi, reprochant à l’arrêt de lui enjoindre de justifier des nécessités du mandat l’obligeant à utiliser l’intégralité de ses heures de délégation en dehors de son temps de travail. Il résulte, en effet, des dispositions du code du travail que si l’employeur peut saisir le juge des référés pour obtenir l’indication des activités exercées par le salarié investi d’un mandat représentatif pendant ses heures de délégation avant contestation, il ne peut exiger devant cette juridiction la justification de l’utilisation de ces heures .

° VERDICT DE LA COUR DE CASSATION

- Sur la précision et l’indication des activités exercées durant son crédit d’heures, la Cour de cassation confirme la position de la cour d’appel, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure.

Elle rappelle que si l’employeur ne peut pas exiger devant le juge des référés la justification de l’utilisation des heures de délégation (Cass. soc., 22 avr. 1992, n° 89-41.253 P), l’entreprise peut en revanche saisir avant contestation cette juridiction pour obtenir du salarié des indications sur cette utilisation (Cass. soc., 8 juill. 1992, n° 90-43.980 P).

  • Sur la justification de la nécessité de l’utilisation du crédit d’heures en dehors du temps de travail, la Cour de cassation casse sur ce point l’arrêt de la cour d’appel.

La Haute juridiction rappelle, en premier lieu, qu’en cas de litige relatif aux heures de délégation effectuées en dehors du temps de travail, la charge de la preuve pèse sur le représentant du personnel, mais précise ensuite que l’employeur ne peut pas saisir le juge des référés pour obtenir la justification par le salarié de ces nécessités.

Autrement dit, l’employeur souhaitant obtenir du salarié la justification de la nécessité de l’utilisation de ses heures de délégation, en dehors de son temps de travail, doit saisir le juge au fond.

° ECLAIRAGES

Cet arrêt éclaire sur la distinction qui doit être faite entre la "précision et/ou de l’utilisation des heures de délégation en dehors du temps de travail" et sa "justification".

Si la précision et/ou l’indication peut légitimement être demandée(s) devant le juge des référés par l’employeur, ce n’est pas le cas pour la demande de justification de la nécessité de l’utilisation du crédit d’heures.

Cette demande est uniquement une question de fond dont le juge des référés est incompétent (pour rappel, le juge des référés est le juge de l’urgence, habilité à prendre des mesures provisoires pour faire cesser un trouble manifeste, qu’il faut faire "urgemment" cesser.
Déterminer si l’heure de délégation utilisée d’un membre d’un CSE est utilisée conformément, en l’espèce hors temps de travail, aux missions de ce membre et du CSE, vérifier que ce représentant élu n’avait pas d’autres moments que ceux qu’il a pris pour exercer son mandant hors temps de travail, est une question de fond relevant de l’appréciation d’un juge du fond ne statuant pas dans l’urgence, mais dans des délais normaux de saisine et de jugement).

° DROITS EN ACTIONS :

Cette jurisprudence "rappelle" à la vigilance sur les règles applicables à l’exercice des mandats et invite chacun des représentants UNSA dans les spécificités de leur mandat syndical et social élus, notamment dans le cadre des institutions représentatives du Personnel (CSE, CSSCT, commissions, etc.) à bien s’interroger sur l’utilisation conforme de leurs heures de délégation, au mandat qui est le leur, en lien donc avec les spécialités du champ des missions et d’actions que ce mandat leur permet d’exercer.

Le représentant doit donc bien justifier des modalités qu’il utilise pour exercer ses fonctions et aux fins de celles-ci, mais il n’a pas à justifier devant le juge des référés du bien fondé de l’action et des missions qu’il a exercé sur ces temps.

Ce qui signifie aussi qu’après le juge des référés, juge des modalités d’exercice OU immédiatement et directement, sans passer par l’étape d’urgence du recours au référé, un juge du fond peut toujours, sur saisine de l’employeur, examiner et juger de la légalité de la mission exercée sur des heures de délégation hors temps de travail.

L’exercice de mandats syndicaux issus d’élections professionnelles reste donc bien mis en oeuvre sous le contrôle des juges...


Auteur Sophie RIOLLET (juriste) et Christian HERGES, Responsable Juridique, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National de l’UNSA.
Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org

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