Juge et consultation du C.S.E. sur le projet de recours à l’Intelligence Artificielle (I.A.), "nouvelle technologie" impactant l’emploi.

Le tribunal judiciaire de Paris, dans son ordonnance du 2 septembre 2025 décide que l’installation d’une plateforme d’intelligence artificielle constitue une « technologie nouvelle » imposant la consultation du C.S.E. Si les choses n’étaient pas claires pour les entreprises, elle le deviennent, mais méritent encore d’être précisées...
JURISPRUDENCE SOCIALE DES TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL :
Intelligence artificielle et consultation du CSE : enfin une ligne de conduite claire pour tous les employeurs en application de l’article L. 2312-8 du Code du travail du fait d’introduction de nouvelles technologies !?
L’I.A. progresse à grand pas dans les entreprises, l’air de rien, souvent sans communication, subrepticement, jusqu’au jour où le travail et les conditions d’emplois affectent les salariés (enquête : 46 % des chefs d’entreprise déclarent licencier pour une raison d’I.A. et seulement 12 % ont conscience d’avoir été licenciés en raison de cette même intelligence artificielle dans ces entreprises).
Le tribunal judiciaire de Paris, dans une ordonnance du 2 septembre 2025 décide que l’installation d’une plateforme d’intelligence artificielle constitue une « technologie nouvelle » imposant la consultation du CSE.
À propos de T.J. de Paris, ord. réf., 2 sept. 2025, nº25/53278, ci-joint
° EN BREF...
L’introduction de l’IA n’est encadrée par aucune disposition légale ou réglementaire et les décisions de justice sont rares.
Pour autant, la compétence consultative générale du CSE lui assure, en cette situation, un rôle particulier et essentiel, participant notamment à l’accompagnement des transformations du travail.
- Dans le champ d’application des consultations récurrentes (pour mémoire) :
Les trois thématiques des consultations récurrentes du C.S.E. prévues à l’article L. 2312-17 du Code du travail : orientations stratégiques, situation économique et financière, et politique sociale constituent autant de points d’entrée pour examiner les implications de l’I.A. dans l’entreprise.
- Dans le champ d’application des consultations ponctuelles :
En application des dispositions de l’article L. 2312-8 du Code du travail, le CSE doit être informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise.
C’est dans ce cadre que le CSE est notamment consulté sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, sur les conditions de travail, l’introduction de nouvelles technologies ou encore tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
L’administration du travail avait apporté des précisions autour de la notion de « nouvelles technologies » en indiquant notamment que :
- cette notion devait être entendue au sens large et pouvait, notamment, englober l’automatisation, l’informatisation ou encore la robotisation ;
- l’introduction d’une nouvelle technologie devait faire l’objet d’une consultation du CSE, peu important que la technologie soit déjà largement répandue dans le secteur d’activité ou l’économie.
Il est donc nécessaire de faire une appréciation du projet au cas par cas pour savoir si la technologie mise en place a - ou non - un caractère novateur par rapport à celle utilisée précédemment dans l’entreprise.
Le jugement du 2 septembre 2025 du tribunal judiciaire de Paris se penche sur cette question de la consultation du CSE ponctuelle et sur la notion de nouvelles technologies en procédant à une distinction entre innovation et simple mise à jour d’un outil existant.
CONTEXTE DE LA SAISINE
Au sein de France Télévisions, deux projets étaient en cours :
- le déploiement d’une plateforme sécurisée donnant accès à des outils d’IA générative et la mise à jour d’un agent conversationnel RH existant. La direction ayant refusé de consulter le CSE central, ce dernier saisi le tribunal judiciaire de Paris.
La direction de France Télévisions estimait que ces outils n’avaient pas d’incidence sur les conditions de travail et qu’en conséquence le CSEC n’avait pas à être consulté.
De son côté le CSEC considérait au contraire qu’ils constituaient des « nouvelles technologies » au sens de l’article L. 2312-8 du code du travail, justifiant une consultation préalable.
La plateforme en question constitue-t-elle une « nouvelle technologie » telle qu’elle est citée par l’article L.2312-8 du code du travail ?
L’ANALYSE DE LA DÉCISION
Dans sa décision, le juge rappelle que cette consultation s’impose « avant toute décision d’un organe dirigeant ayant une incidence sur l’organisation, la gestion ou la marche générale de l’entreprise » et que, depuis la réforme du dialogue social de 2017, l’obligation de consulter sur « l’introduction de nouvelles technologies » n’est plus subordonnée à une modification directe des conditions de travail : il suffit que le projet soit susceptible d’avoir un impact sur la "situation des travailleurs" .
(Cette notion de situation des travailleurs méritera une meilleure qualification de ce qu’elle inclut ou pas).
Considérant que la plateforme en question, permet aux salariés d’accéder à des outils d’IA générative et de créer leurs propres assistants virtuels personnalisés, ce dispositif dépasse, selon le juge, la simple mise à disposition d’un outil informatique, la consultation du CSEC se justifie.
Le déploiement de la plateforme est suspendu jusqu’à ce que le comité ait rendu son avis.
Concernant le second projet, le juge refuse toute obligation de consultation pour la version V 2 du chatbot RH. Ce dernier existait déjà depuis 2022, et la nouvelle version se bornait, selon le tribunal, à améliorer le langage informatique et à élargir les thématiques traitées , sans introduire de rupture technologique .
(Nous savions déjà néanmoins qu’en matière de données personnelles, la CNIL exigeait des avenants aux engagements RGPD pour des natures de données différentes et qu’il n’est pas possible, en principe, de préjuger d’un caractère plus sensible ou non d’une donnée par rapport à une autre... à suivre).
Le CSEC ayant déjà été consulté lors de la mise en place initiale, le juge estime qu’il n’y a ni nouvelle technologie ni projet important au sens du code du travail.
ÉCLAIRAGES
La décision du tribunal judiciaire de Paris fait écho à une précédente décision du tribunal judiciaire de Nanterre.
Lorsqu’une consultation est requise, elle doit impérativement précéder la mise en œuvre du projet et l’exploitation des applications numériques I.A. (art. L. 2312-15). Le Tribunal judiciaire de Nanterre, dans une ordonnance de référé du 14 février 2025 (TJ Nanterre, référé, 14 févr. 2025, nº 24/01057), s’est prononcé en ce sens s’agissant du déploiement de plusieurs outils d’IA. Le juge a ordonné la suspension immédiate du projet jusqu’à la clôture de la consultation du CSE estimant que cette phase impliquait déjà une utilisation effective par les salariés, et ne pouvait donc pas être qualifiée de simple expérimentation préparatoire.
Cette décision semble confirmer ainsi L’OBLIGATION d’informer et de consulter le CSE avant tout déploiement de l’intelligence artificielle (vers une expertise "algorithme" ou du "moteur d’inférences" des applications informatiques I.A. à l’image de la législation des travailleurs indépendants des plateformes numériques livreurs et VTC (et transposition de la directive européenne relative aux plateformes numériques) ?).
Depuis plusieurs années, les tribunaux judiciaires semblent adopter une lecture plus large du droit à consultation. Reste à connaître la position de la Cour de cassation qui confirmera ou pas cette interprétation.
Pôle service juridique du Secteur Juridique National de l’UNSA.
Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org