L’abandon de poste devient une présomption de démission


https://www.unsa.org/2689

Le décret du 17 avril 2023 énonce que le salarié ayant abandonné son poste sans justification légitime est présumé démissionnaire, et ne pourra plus bénéficier des allocations chômage.
 
 
 
 

Ce décret met en œuvre le dispositif créé par la loi du 21 Décembre 2022 ayant réformé plusieurs aspects de l’assurance chômage et dont l’UNSA remet en cause la constitutionnalité devant le Conseil d’Etat : ICI

La création d’une présomption de démission pour les travailleurs quittant sans justification légitime leur poste répond à l’image stigmatisante selon laquelle l’abandon de poste serait un outil utilisé par des salariés ne souhaitant pas travailler et préférant « profiter » de l’assurance chômage.
Ces derniers devraient alors plutôt démissionner sans pouvoir bénéficier des allocations chômage.
Cette image ne se fonde sur aucune étude qualitative des motivations de l’abandon de poste et la présomption de démission ne fait qu’aggraver la situation des personnes précaires et de celles en souffrance au travail.

Une mesure qui ne répond pas à la réalité du terrain
Le taux de retour en emploi dans les 3 mois suivant la fin du contrat de travail après un abandon de poste est de 37% (1) .

Il est identique à celui des salariés ayant signé une rupture conventionnelle. Cependant, ce taux est très largement inférieur à celui des démissionnaires (69%).

La démission est alors un outil cyclique : il est bien plus utilisé lorsque le marché du travail est très dynamique et que les opportunités d’emploi sont plus nombreuses.
Cela permet de différencier la démission et l’abandon de poste.

Si la première est utilisée afin d’accéder à un nouvel emploi de meilleure qualité, le second permet quant à lui de fuir l’emploi actuel, en particulier du fait de souffrances au travail.
En effet, lorsque l’atmosphère de travail est hostile, il est rare que l’employeur accepte une rupture conventionnelle car cela pourrait créer une brèche dans laquelle s’engouffreraient tous les salariés souhaitant quitter l’entreprise ou parce qu’il ne veut pas ou ne peut pas payer des indemnités de rupture.
L’abandon de poste s’avère donc être le seul outil disponible dans des conditions de travail dégradées, lorsque le salarié n’a pas d’autre opportunité d’emploi certaine ou pour quitter son emploi rapidement sans effectuer son préavis pour une autre entreprise qui l’embauche immédiatement.
Démissionner demande alors une certaine sécurité financière et tout le monde ne peut pas se le permettre.
La démission n’est utilisée que par 43% des ouvriers non-qualifiés quittant leur emploi contre 68% des cadres (2) .
Pour démissionner, il faut soit avoir des économies suffisantes, soit rechercher un nouvel emploi avant d’avoir quitté le sien.
Cela s’avère bien plus difficile pour les salariés les plus précaires pour qui le marché du travail est le moins accueillant et qui ont souvent moins de temps libre pour faire des recherches du fait du temps de transport, de la garde d’enfants, etc.

L’accès à l’assurance chômage permise par l’abandon de poste s’avère donc être un élément protecteur des travailleurs les plus fragiles.

En conclusion, si l’abandon de poste répond à des impératifs différents de ceux de la rupture conventionnelle, il ne s’adresse pas non plus aux mêmes travailleurs que la démission.
Il s’agit d’un moyen répondant à un véritable besoin de protection contre la souffrance au travail et contre la précarité des travailleurs.

Assimiler l’abandon de poste à une démission aura donc avant tout des conséquences perverses, augmentant cette souffrance au travail et détériorant la santé des salariés.

Quelles seront les possibilités pour un travailleur ne supportant plus physiquement ou psychiquement son emploi et n’ayant pas les moyens de démissionner ?

Il pourra d’abord continuer jusqu’à l’épuisement. Certains observateurs craignent déjà une nette augmentation des arrêts de travail et des licenciements pour inaptitude, du fait de la réforme.
Il pourra ensuite chercher à être licencié pour faute. Il s’agit alors d’une forme poussée de « Quiet quitting » consistant à se présenter au travail sans s’y impliquer aucunement. Pire encore, le travailleur pourra se comporter de manière inappropriée, en injuriant son employeur par exemple, jusqu’à ce que celui-ci se décide à le licencier.

La présomption de démission augmentera donc à coup sûr les tensions sur le lieu de travail.
Enfin, assimiler l’abandon de poste à une démission aggravera la situation des travailleurs précaires.
Elle compliquera la possibilité de quitter les emplois les moins bien payés et les plus durs.
De ce fait, le gouvernement affaiblit encore le rapport de force des travailleurs précaires en leur enlevant un levier de négociation face aux employeurs.
Cela, alors que le dynamisme actuel du marché de l’emploi devrait être l’occasion d’améliorer leurs conditions de travail et leur pouvoir d’achat.

Une réforme juridiquement incertaine

L’article R. 1237-13 du Code du travail énonce que le salarié souhaitant renverser la présomption de démission doit démontrer que son absence reposait sur « un motif légitime ».
En reformulant, cela signifierait que sans motif légitime, l’absence du salarié serait considérée comme une démission.
La légitimité de l’absence semble donc devenir le critère clé du régime de la démission, en lieu et place de l’expression de claire et non-équivoque de la volonté de rompre le contrat de travail.
En effet, si le salarié a répondu à la mise en demeure de l’employeur de ne pas vouloir rompre le contrat mais qu’il n’a pas de motif légitime pour justifier son absence, celle-ci sera tout de même présumée être une démission.

Donc l’expression de la volonté du salarié n’est plus particulièrement utile à l’identification de la démission.

Dans ce cas, l’acteur central de la démission ne serait plus le travailleur dont il fallait identifier l’expression de la volonté, mais l’employeur qui devra juger si l’absence est légitime ou non afin de pouvoir affirmer que le salarié a bien démissionné.
Ce rôle central de l’employeur pose alors bien des interrogations.
Tout d’abord quelle marge de manœuvre a-t-il pour juger de cette légitimité ?
Par exemple, dans le cas d’un droit de grève ou de retrait mal exercé, l’employeur pourra-t-il considérer cela comme une démission, sans passer par la procédure disciplinaire ?
Ainsi, le droit au contradictoire du salarié permis lors d’un licenciement ou d’une sanction avec l’entretien préalable, ne revêt-il plus que la forme d’une simple mise en demeure ?
Le pouvoir unilatéral de l’employeur semble donc s’accroitre et dépasser le cadre de la procédure disciplinaire, résultant sur une diminution des garanties offertes aux salariés.
En conclusion, l’UNSA est opposée à cette évolution juridique qui ne règlera pas les situations de souffrances au travail en précarisant les travailleurs partant du principe qu’ils profiteraient du « système ».

(1) Dares, 2023

(2) Insee, enquêtes Emploi 2003 à 2009 :

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