Interviews croisées : Face à une réforme injuste de l’assurance chômage l’UNSA saisit le Conseil d’état


https://www.unsa.org/2649

Jérôme Leleu, conseiller économique, et Tristan Pesty, juriste, reviennent sur les effets concrets de la réforme pour les demandeurs d’emploi et détaillent les motivations du recours juridique de l’UNSA.

En quoi consiste la nouvelle réforme de l’assurance chômage, entrée en vigueur le 1er février dernier ?
Tristan Pesty : Depuis le 1er février, la durée maximale d’indemnisation chômage a diminué de 25% par rapport aux règles antérieures.
Dans le cas où le taux de chômage dépasserait 9% ou augmenterait de 0,8 point sur un trimestre, un complément de fin de droits (CFD) de maximum 25% de la durée initiale, sera accordé pour les demandeurs d’emploi arrivant en fin de droits sur cette période.
Ainsi, un demandeur d’emploi ayant travaillé 24 mois bénéficiait auparavant de 24 mois d’indemnisation maximum. C’est 18 mois maximum depuis le 1er février 2023. En revanche, la durée d’indemnisation ne pourra pas être inférieure à 6 mois.
Et la réforme précédente avait déjà rogner leurs droits ?
Jérôme Leleu : En effet, la réforme du calcul du Salaire journalier de référence (SJR) a conduit, en 2022, à ce que plus de 50% des nouveaux allocataires ont eu une allocation inférieure à ce qu’elle aurait été selon les règles précédentes.
30% voient même leur indemnité diminuer de plus de 10%. En moyenne, les personnes ayant une allocation journalière calculée avec les nouvelles règles subissent une baisse de 16% de leur indemnité.
De plus, notamment en raison du durcissement des conditions d’affiliation, les ouvertures ou rechargements de droits ont baissé de 20% en juin 2022 par rapport à juin 2019.

Mais le gouvernement peut-il réduire les droits des chômeurs indéfiniment et arbitrairement ?
TP : Non, le droit à l’indemnisation des chômeurs est protégé juridiquement. En effet, le préambule de la constitution de 1946 énonce que chacun a le droit d’obtenir un emploi et surtout que tout être humain qui se trouve en incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.
En 2022, le Conseil constitutionnel a alors considéré que ces exigences constitutionnelles impliquent l’existence d’un régime d’indemnisation des travailleurs privés d’emploi.
Ainsi, le parlement comme le gouvernement doivent respecter la constitution et ne peuvent priver les chômeurs d’un véritable droit à une indemnisation.
Par ailleurs, le régime d’assurance chômage est géré de manière paritaire par les syndicats et les employeurs. Les règles d’indemnisation doivent donc être issues d’un véritable dialogue social et doivent donc refléter les intérêts des travailleurs défendus par les organisations syndicales.

Quels seront les effets concrets pour les demandeurs d’emploi de cette nouvelle réforme ?
JL : Selon l’Unédic, qui a regardé les taux de consommation des droits en 2015 et 2019, plus de 50% des allocataires verraient leur couverture effective réduite.
A l’horizon 2027, lorsque la réforme sera en rythme de croisière et si aucun CFD n’est accordé, le nombre d’allocataires indemnisés baisserait de 12%, soit d’environ 300 000 personnes, pour 2,5 millions d’indemnisés.
Au total, ce seront 4,5 milliards d’euros par an qui seront économisés sur le dos des demandeurs d’emploi !
L’Unédic indique également que l’augmentation du nombre de personnes atteignant la fin de leur droit à l’assurance chômage devrait se traduire par une augmentation du nombre d’allocataires de minima sociaux.
Rappelons que début 2022, environ 40% des demandeurs d’emploi non indemnisables par l’assurance chômage percevaient l’ASS ou le RSA.
En outre, au moment où le gouvernement veut imposer une réforme injuste et brutale du système des retraites, il est à noter que la baisse de la durée potentielle d’indemnisation pourrait réduire dans certains cas le nombre de trimestres validés pour la retraite (de 1 à 3 trimestres) et le nombre de points de retraite complémentaire se réduira pour les allocataires qui seront indemnisés moins longtemps.
De surcroît, les séniors verront leur durée d’indemnisation maximale passer à 23 mois au lieu de 30 pour les 53-54 ans et à 27 mois au lieu de 36 pour les 55 ans et plus.

Quels sont vos angles d’attaque principaux contre le décret ?
TP : Nous avons 3 angles d’attaque, qui reflètent la violation des protections juridiques du droit à l’indemnisation des personnes sans emploi.
Tout d’abord, nous considérons que le principe même de modulation des droits est contraire au droit constitutionnel à l’indemnisation consacré par le Conseil Constitutionnel.
Nous allons donc formuler une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), afin d’invoquer l’inconstitutionnalité du dispositif. La QPC est d’abord examinée par le Conseil d’Etat qui devra la transmettre au Conseil Constitutionnel s’il la trouve suffisamment sérieuse.
Si le Conseil constitutionnel estime que le principe de contracyclicité est contraire à la constitution, il abrogera les dispositions qui y sont relatives.
Ensuite, le gouvernement a adopté ce décret avec une procédure lui ayant permis d’échapper à une véritable discussion avec les syndicats.
Pourtant, la participation des syndicats à l’élaboration des lois sociales est elle aussi protégée par la constitution, par la loi et par la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Enfin, la modulation des droits à l’indemnisation des chômeurs est opérée par le décret à travers le niveau et l’évolution du taux de chômage.
Cet indicateur est imparfait et ne représente pas à lui seul les difficultés des chômeurs sur le marché de l’emploi.
Ainsi, alors que le principe de contracyclicité est déjà critiquable, le gouvernement le met en œuvre de façon contestable. Le Conseil d’Etat pourra donc annuler le décret du fait d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’administration.

Et la suite ?
JL : Les règles sont normalement en vigueur jusqu’au 31 décembre prochain, même s’il est possible qu’elles soient quelque peu prolongées. Le gouvernement a prévu d’enclencher une négociation avec les partenaires sociaux pour adapter la gouvernance de l’assurance chômage.
L’UNSA y prendra toute sa part, car même si les évolutions récentes du fonctionnement du système en termes de financement et d’accès nécessitent une refonte, elle reste attachée à la garantie sociale qu’offre une présence forte des partenaires sociaux dans la gestion de l’assurance chômage.
S’ensuivra des nouvelles discussions pour adapter les règles de l’assurance à partir de 2024.
Et il faudra être vigilant et combatif, car le gouvernement compte bien encore réduire les droits des demandeurs d’emploi. Preuve en est un article, finalement retiré, du décret actant la baisse de 25% de la durée maximale d’indemnisation.
Il prévoyait une baisse de 40% de cette durée si le taux de chômage passait sous les 6%. Le ministre du Travail a bien précisé que ce sujet reviendrait lors des concertations prévues cette année !

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