Piège des Accords de Performance Collective : plusieurs salariés, mais pas de « licenciement collectif » pour les juges de l’Union !?

La société INEO INFRACOM va t’elle à à nouveau faire jurisprudence en matière de licenciements pour motif économique après avoir déjà obtenu gain de cause devant la Cour de cassation en 2020 ?
RENVOI PRÉJUDICIEL (*) POUR LES ÉCLAIRAGES DES INSTANCES EUROPÉENNES :
À propose de la position :
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
(*) Article 267 : la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :(...) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
- Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, elle peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
- Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.
TABLE : Faits, Droit, APC et accords de mobilité interne, saisine de la Cour de justice : les licenciements pour refus d’application d’un accord collectif échappent-ils aux obligations de la directive ? Qualification de la question de droit et décision de la CJUE, cas des représentants du Personnel, sources...
° FAITS DE CETTE AFFAIRE ET PROCÉDURE
Dans l’affaire, la société INEO INFRACOM subit une perte de marché et informe les représentants syndicaux.
Plutôt que de licencier, l’employeur propose de négocier un accord de mobilité interne (procédé à l’époque) pour redéployer le personnel sur d’autres chantier.
L’accord est conclu (l’UNSA ne l’a pas signé), il reste soumis à l’acceptation ou le refus individuel de chaque salarié, ce dernier choix entraînant un licenciement pour motif économique sur motif particulier.
Deux salariés, RT et ED, refusent l’accord. L’employeur les licencient.
Ils contestent chacun devant le Conseil des prud’hommes de Nîmes pour demander la résiliation judiciaire de leurs contrats de travail.
Le requérant RT obtient gain de cause, mais ED est débouté de ses demandes.
L’employeur interjette appel pour les deux demandes.
La cour d’appel de Nîmes infirme la décision pour RT et confirme celle d’ED… Tout est perdu pour les deux salariés... ?
L’affaire est élevée jusqu’à la Cour de cassation, mais celle-ci sursoit à statuer et effectue un renvoi préjudiciel auprès de la Cour de justice pour deux questions :
- Question n° 1 : l’article 1, paragraphe 1, second alinéa de la directive 98/59/CE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs :
Doit-il être interprété que les licenciements pour motif économique, fondés sur le refus par les salariés des stipulations d’un accord collectif de mobilité sont considérées " cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur, pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs" ? Et ce, de telle sorte qu’il y a lieu de tenir compte, pour le calcul du nombre total de licenciements intervenus, d’un licenciement collectif ?
- Question n° 2 : en cas de réponse positive à cette première question, lorsque le nombre de licenciements envisagés dépasse le nombre de licenciements prévus (au 1 a) de la directive précitée, l’article 2, paragraphes 2 à 4, de la directive 98/59/CE), doit-il être interprété avec une information et consultation du comité d’entreprise avant la conclusion de l’accord collectif (mobilité interne) avec des organisations syndicales représentatives, en application des articles L. 2242-21 et suivants du code du travail, dispensent l’employeur d’informer et de consulter les représentants du personnel ?
La Cour de justice leur répond le 4 septembre :
° DROIT
Accords de mobilité interne dans les A.P.C. :
La modification du lieu de travail est un enjeu fréquent dans l’évolution de la relation de travail.
Avant 2013, il y avait deux façons pour l’employeur d’imposer un nouveau le lieu de travail : soit le contrat prévoit une clause de mobilité, soit le nouveau lieu se situe dans le même secteur géographique.
Depuis, l’accord de mobilité interne est un procédé inscrit dans les négociations, avec ou sans projet de réduction d’effectif.
L’accord issu de ces négociations va élargir les limites géographiques imposées pour permettre de modifier le lieu de travail sans avoir à négocier d’avenant avec chaque salarié. Avec en contrepartie, des mesures d’accompagnements à la mobilité et la participation de l’employeur à la compensation d’une éventuelle perte de pouvoir d’achat et aux frais de transport.
Le refus d’application de l’accord collectif de mobilité est inscrit dans la loi et est un motif de licenciement autonome, dont le contrôle par le juge obéit à des règles particulières.
Depuis 2019 avec les ordonnances Macron, l’accord de performance collective remplace l’accord de mobilité interne (les accords de maintien de l’emploi et les accords de préservation ou de développement de l’emploi) et repose sur les mêmes idées fortes : des stipulations défavorables qui s’imposent unilatéralement aux contrats de travail des salariés, et un motif de licenciement qui, par la loi, « constitue une cause réelle et sérieuse », empêchant un contrôle du juge.
° SAISINE DE LA COUR DE JUSTICE :
Les licenciements pour refus d’application d’un accord collectif échappent-ils aux obligations de la directive ?
Parmi les arguments des salariés, la violation de la directive 98/59.
La saisine énonce que lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.
La définition des licenciements collectifs est celle de plusieurs licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des salariés et sur une certaine période.
En droit français, le licenciement collectif fait l’objet d’une consultation à partir de 10 licenciements sur moins de 30 jours. À partir de 10 salariés, les employeurs de 50 salariés ou plus doivent mettre en œuvre un PSE.
Le licenciement suite au refus d’APC/mobilité interne est un motif de licenciement autonome ; dans le cas de l’APC , ce licenciement repose sur un motif "spécifique" qui constitue une cause réelle et sérieuse.
Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 ainsi qu’aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11, L. 1234-14, L. 1234-18, L. 1234-19 et L. 1234-20. Ce qui exclut les règles relatives au licenciement collectif (Articles L1233-21 à L1233-57-8).
Des licenciements individuels pris sur le motif spécifique doit-il être toujours pris en compte dans le décompte des 10 salariés licenciés en moins de 30 jours ?
° DÉCISION DE LA C.J.U.E.
Il revient à la juridiction de renvoi d’opérer un contrôle spécifique de la rupture du contrat de travail et décider s’il doit être pris en compte le cas échéant dans un PSE ou non.
Cependant, l’information et la consultation des représentants des travailleurs auxquelles il est procédé avant la conclusion d’un accord collectif relatif à la mobilité interne, peuvent être considérées comme constituant la "consultation" au sens de l’article 2 de la Directive et ce, pour autant que les obligations d’information prévues au paragraphe 3 de celui-ci aient été respectées.
- ET LE REPRESENTANT DU PERSONNEL ?
Le contrôle reposait sur un enjeu : un licenciement suite au refus individuel d’appliquer un accord collectif versus les difficultés économiques qui ont conduit l’employeur et les syndicats à négocier l’accord de performance collective.
On recherche à savoir si le licenciement est une simple conséquence de l’accord, ou bien s’il est objet de l’accord.
Il n’est pas inimaginable que dans ce dernier cas, l’accord de performance collective (et avant l’accord de mobilité interne) a en filigrane la mission de préparer les licenciements des salariés les plus rétifs.
La temporalité est aussi un élément décisif ; à quel moment les délégués syndicaux sont au courant des décisions stratégiques qui envisagent des licenciements collectifs ?
Il est présumé que si les informations utiles sur le projet figurent dans la négociation de l’accord, alors l’employeur respecte ses obligations.
Pour conclure, les accords de performance collectives soulèvent les difficultés pour les délégués syndicaux, l’employeur pouvant échapper à l’obligation de mettre en place un P.S.E. après un A.P.C..
Lorsque l’A.P.C. est proposé, prudence et plutôt, non s’il s’agit de contourner les garanties d’un P.S.E. !
° SOURCES :
- Renvoi préjudiciel CJUE 4 septembre 2025 INEO INFRACOM C-249/24
- DIRECTIVE 98/59/CE DU CONSEIL du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs
- L’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : l’information-consultation doit intervenir « en temps utile ».
"Considérant n°8 de la directive 98/59 : pour le calcul du nombre de licenciements prévu dans la définition des licenciements collectifs au sens de la présente directive, il convient d’assimiler aux licenciements d’autres formes de cessation du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur, pour autant que les licenciements soient au moins au nombre de cinq."
- Arrêt CJUE du 21 septembre 2017 n° C‑149/16 Socha e.a. :
Lorsque les conditions de l’article 1 sont remplis, l’employeur doit mettre en œuvre une consultation lorsqu’il envisage une modification unilatérale des conditions de rémunération qui, en cas de refus d’acceptation de la part de ces derniers, entraîne la cessation de la relation de travail.
- Arrêt CJUE du 10 septembre 2009 n° C‑44/08 Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a. : lorsqu’une décision censée conduire à des licenciements collectifs n’est qu’envisagée et que, dès lors, de tels licenciements ne sont qu’une probabilité et que les facteurs pertinents pour des consultations ne sont pas connus, l’objectif de l’information-consultation ne sont pas atteints.
- Arrêt CJUE 11 juillet 2024 n° C 196/23 Plamaro : il est de jurisprudence constante que cette notion doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement.
- Arrêt du 11 novembre 2015 N° C 422/14 Pujante Rivera : pour un employeur procéder, unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification substantielle des éléments essentiels de son contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur relève des licenciements au sens de la directive.
- Arrêt du 21 septembre 2017 n° C‑429/16 Ciupa e.a. : le fait pour un employeur de procéder, unilatéralement et au détriment du travailleur, à une modification non substantielle d’un élément essentiel du contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur ou à une modification substantielle d’un élément non essentiel dudit contrat pour des motifs non inhérents à la personne de ce travailleur ne saurait être qualifié de « licenciement », au sens de la même directive.
° LIENS :
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
https://www.legifrance.gouv.fr/code...
V. de l’article L2254-2 du Code du travail
https://www.legifrance.gouv.fr/code...
Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations : a) de leur fournir tous renseignements utiles et b) de leur communiquer, en tout cas, par écrit les détails du projet de licenciement […] et transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments.
https://curia.europa.eu/juris/docum...
https://eur-lex.europa.eu/legal-con...
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