Retour sur le décret "sanction administrative" des entreprises employant des étrangers non autorisés à travailler !?
Suite à la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 "contrôler l’immigration et améliorer l’intégration", plusieurs décrets pour l’application de celle-ci viennent d’être publiés au Journal officiel.
Les dernières publications de ces décrets sont tardives puisqu’elles interviennent plusieurs mois après la promulgation de cette loi, très contestée et partiellement censurée par le Conseil constitutionnel (D.C. n° 2023-863, 25 janvier 2024).
Loi immigration et emploi des étrangers : un nouveau décret est arrivé !
Ce décret n° 2024-814 du 9 juillet 2024 (publié au Journal officiel le 16 juillet 2024 )est relatif à l’amende administrative sanctionnant :
- l’emploi de ressortissants étrangers non autorisés à travailler.
- le non-respect des conditions de délivrance des autorisations de travail.
° UNE NOUVELLE PROCÉDURE D’AMENDE ADMINISTRATIVE
La loi Immigration a créé cette amende administrative, remplaçant depuis le 17 juillet 2024, les contributions spéciales et forfaitaires, versées par les employeurs, ayant employé des étrangers non autorisés à travailler, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
Ainsi, en cas d’emploi d’un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ou de recours aux services d’un employeur d’un étranger non autorisé à travailler, une amende peut être assenée. Elle peut s’élever à 5000 fois le taux horaire du minimum garanti, voire être majorée jusqu’à 15000 fois ce taux en cas de réitération dans les cinq années précédant la constatation de la première infraction.
L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés, ce qui peut conduire au paiement de sommes conséquentes.
Elle peut aussi être réduite à 2000 fois le taux précité, si l’auteur du manquement s’est acquitté spontanément, dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l’infraction, des salaires et de l’indemnité forfaitaire dus au salarié étranger au titre de la période d’emploi illicite.
En revanche, l’amende ne protège pas l’auteur de l’infraction d’éventuelles poursuites judiciaires. Dès lors, la responsabilité civile (voire pénale) de l’auteur peut être engagée.
Le montant des frais d’éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière est intégré à la somme de l’amende.
Ce montant est fixé par arrêté du ministre chargé de l’immigration et du ministre chargé du Budget, en fonction du coût moyen des opérations d’éloignement suivant les zones géographiques, à destination desquelles les étrangers peuvent être éloignés.
Le décret précise la nouvelle procédure relative à cette amende administrative, qui transfère la compétence de l’Office français de l’immigration et de l’intégration au ministre chargé de l’Immigration.
Ainsi, lorsque les infractions sont constatées par des procès-verbaux et des rapports d’agents qualifiés, le ministre informe, par tout moyen conférant une date certaine, l’auteur de l’infraction qu’une amende administrative est susceptible de lui être infligée et qu’il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours sur les faits qui lui sont reprochés. Le ministre informe également la personne qu’elle a le droit de demander une copie du procès-verbal d’infraction ou du rapport sur la base duquel ont été établis les manquements qui lui sont reprochés. La personne aura alors quinze jours à compter de la date de réception du procès-verbal pour présenter des observations.
À l’expiration du délai en fonction de la situation, le ministre statue sur le montant de l’amende et son application. La décision est motivée et notifiée à l’auteur de l’infraction. Toutefois, il reste possible de contester cette amende devant le tribunal administratif dans le ressort duquel l’infraction a été constatée, sauf exceptions.
Ces règles s’appliquent aux procédures de sanction relatives à des faits commis aussi bien postérieurement qu’antérieurement au 17 juillet 2024, date de l’entrée en vigueur du décret. En revanche, elles ne s’appliquent pas à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
° LA SOLIDARITÉ FINANCIÈRE DU DONNEUR D’ORDRE
Le décret encadre la mise en œuvre de la solidarité financière, à laquelle doit se soumettre le donneur d’ordre d’un employeur engageant un étranger non autorisé à travailler.
Le donneur d’ordre peut notamment être tenu solidairement avec l’employeur au paiement des salaires et des accessoires dus à l’étranger non autorisé à travailler, des indemnités versées au titre de la rupture de la relation de travail, de tous les frais d’envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel l’étranger est parti volontairement ou a été reconduit et enfin même de l’amende administrative.
- Instruction du Ministre...
Le ministre chargé de l’Immigration, après que le greffe d’une juridiction correctionnelle lui ait transmis une copie de la décision définitive condamnant une personne pour avoir recouru sciemment aux services d’un employeur d’un étranger non autorisé à travailler, procède à la mise en œuvre de la solidarité financière.
Il commence par informer le donneur d’ordre concerné, par tout moyen conférant une date certaine, que les règles relatives à la solidarité financière sont susceptibles de lui être appliquées et qu’il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours.
Là encore, le ministre informe aussi la personne qu’elle a le droit de demander la communication du procès-verbal d’infraction ou du rapport sur la base duquel ont été établis les manquements relevés à son égard et qu’elle a quinze jours à compter de la date de réception du procès-verbal pour présenter des observations.
À l’expiration du délai en fonction de la situation, le ministre statue sur la mise en œuvre de la solidarité financière. Il notifie alors au donneur d’ordre et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration sa décision motivée et les sommes dues au titre de la solidarité financière, telle que l’amende administrative. Les sommes sont déterminées proportionnellement au regard de la situation entre le donneur d’ordre et de son cocontractant, avec une prise en compte de certains critères.
Enfin, les sommes devront être versées sur un compte ouvert par l’Office français de l’immigration et de l’intégration au nom du salarié étranger concerné, dans un délai que l’Office détermine, qui ne peut être inférieur à quinze jours.
À défaut de règlement, un recouvrement forcé des sommes dues est lancé par le directeur général de l’Office.
Ces règles s’appliquent aux faits constatés à compter de la publication du décret, soit à compter du 16 juillet 2024. En revanche, elles ne s’appliquent pas à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
° DES CONDITIONS PLUS STRICTES DE DÉLIVRANCE DES AUTORISATIONS DE TRAVAIL
À compter du 1er septembre 2024, les règles afin d’obtenir une autorisation de travail sont durcies, dans le but de protéger les travailleurs étrangers.
Des conditions sont rajoutées pour l’employeur, voire le donneur d’ordre, l’entreprise utilisatrice ou l’entreprise d’accueil. Ainsi, l’administration pourra leur délivrer une autorisation de travail seulement s’ils n’ont pas fait l’objet de condamnations pénales ou de sanctions administratives pour des infractions relevant du travail illégal, pour des infractions aux règles de santé et de sécurité au travail, pour aide à l’entrée et au séjour irrégulier en France, pour méconnaissance des règles relatives au détachement temporaire de salariés, mais également pour des atteintes à la personne humaine ou pour faux et usage de faux ; et qu’en outre, l’administration ne doit pas relever de manquement grave de leur part en ces matières.
Par ailleurs, l’administration peut refuser l’autorisation de travail lorsque le projet de recrutement est manifestement disproportionné au regard de l’activité économique de l’employeur, du donneur d’ordre, de l’entreprise utilisatrice ou de l’entreprise d’accueil.
Si la demande d’autorisation de travail concerne un apprenti dont l’employeur est établi hors du territoire national, accueilli dans une entreprise établie sur le territoire national pour compléter sa formation, la demande devra désormais être formulée par l’entreprise d’accueil.
Enfin, si la demande concerne un emploi saisonnier, l’auteur de la demande doit fournir la preuve que le travailleur dispose, pour la durée de son séjour, d’un logement lui assurant des conditions de vie décentes, ce qui est aujourd’hui une problématique majeure pour les travailleurs étrangers.
Le renouvellement des autorisations de travail sera soumis au respect de ces nouvelles conditions.
En conclusion...
Il reste désormais à attendre de voir si ces mesures seront bien effectives et si elles protégeront véritablement les travailleurs étrangers, notamment en relevant le nombre de nouvelles procédures finalisées, le nombre d’amendes administratives prononcées et si les conditions de délivrance des autorisations de travail sont bien respectées. En effet, afin de protéger les travailleurs étrangers, il est espéré que ces mesures ne soient pas que cosmétiques… Et, les délais de mises à l’épreuve de la loi et de la mesure de son efficience, restent courts.
A suivre, avec les bons indicateurs...
Jade EL MARBOUH, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toute remarque, juridique@unsa.org.