Tout doit disparaître ! Retour sur la "révision-extinction" des accords collectifs de la Métallurgie...


https://www.unsa.org/2540

La Branche professionnelle de la Métallurgie a finalisé sa mue profonde vers l’élaboration d’une convention collective nationale de branche "unique" se substituant à une myriade d’accords territoriaux et sectoriels...
Le Pôle Service Juridique revient, par le truchement d’un jugement de la Cour d’appel de Chambery sur les "angles morts" de la technique de la "révision-extinction", retour mémoriel et analytique sur un concept conventionnel pour le moins atypique...

ANALYSE... JURISPRUDENCE SOCIALE :

Question : est-il juridiquement possible de créer un mécanisme de révision portant extinction d’un accord collectif, sans passer par la dénonciation de l’accord… vous avez dit irrégulier ? Des juges se prononcent...

Cour d’appel de Chambéry, 24 novembre 2022, n° 22- 01.427

° CONTEXTE DE LA SAISINE

La signature de l’accord de la nouvelle convention de la métallurgie (NCC) en date du 7 février 2022 répond notamment à un objectif de refonte simultanée du tissu conventionnel de la branche de la métallurgie. Et, tous les procédés semblaient bons pour parvenir à cet objectif. En témoigne l’article 157 de la Convention...

Cet article prévoit qu’en cas de dénonciation de l’accord territorial de la métallurgie avant l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective, le dispositif conventionnel garantissant que les salariés bénéficient d’un maintien quasi intégral de leur rémunération, ne pourra pas jouer.

Formulé ainsi, l’article en question dissuade de recourir au mécanisme de la dénonciation quand bien même l’objectif reste de ne laisser subsister au 1er janvier 2024 que la nouvelle convention collective nationale.

En réalité, les salariés dont l’accord territorial de branche aurait été dénoncé ne se retrouveront pas sans protection. Il existe bien une garantie légale prévue par les textes, qui assure au global ce maintien de la rémunération.

On peut toutefois s’interroger sur les motifs conduisant à vouloir mettre un terme aux accords territoriaux de la métallurgie sans passer par la procédure classique de dénonciation ?

En droit, la dénonciation permet la survivance de l’accord, pendant 15 mois (3 mois de préavis + 12 mois de survie), avant que les stipulations ne cessent d’être applicables.

Quand on commence à constater qu’il existe 76 accords concernés et que la nouvelle convention collective nationale (CCN) a été signée le 7 février 2022, pour une entrée en plein effet au 1er janvier 2024… l’application uniforme et simultanée pour les près d’1,6 millions de salariés concernés s’annonce plus qu’incertaine...

Mais, ce n’est sans doute pas la seule raison qui pousse les parties signataires de l’accord et plus spécifiquement la partie patronale : ici l’UIMM, à contourner la procédure de dénonciation.

Cette procédure oblige en effet les parties signataire de l’accord dénoncé à renégocier un nouvel accord de substitution. Sauf que dans l’esprit des signataires, c’est bien la nouvelle convention collective qui a vocation à se substituer à la totalité des accords de la métallurgie en vigueur.

N’en déplaise à ses signataires, la nouvelle convention collective étant négociée et signée antérieurement à toute dénonciation, il apparaît difficile et inexact de la qualifier l’accord, "d’accord de substitution".

C’est dans ce contexte qu’a été envisagée l’idée de créer un dispositif dit de « révision-extinction ». Celui-ci n’est mentionné à aucun moment dans la nouvelle convention collective. Pour autant, la partie patronale de chacune des conventions de la métallurgie a négocié un « avenant relatif à la révision des dispositions conventionnelles territoriales ».

Jusqu’ici, aucune difficulté, nous nous trouvons dans un mécanisme juridique bien connu. Mais c’est la lecture de l’article 1.1 de chacun de ces avenants qui ne manque pas de surprendre car intitulé : « Révision-extinction des dispositions conventionnelles territoriales ».
Voici une procédure de révision ayant pour objet exclusif d’éteindre les effets juridiques de l’accord au 1er janvier 2024, là où le législateur entend qu’une révision permette de modifier tout ou partie d’un accord...

Contestant la légalité de pareil procédé, une organisation syndicale a saisi le tribunal judiciaire pour demander la nullité de l’avenant de l’une des conventions territoriale de la métallurgie (de la Savoie) portant extinction de l’accord.

D’abord débouté en première instance, elle a interjeté appel du jugement.

° LES ARGUMENTS DES PARTIES AU CONTENTIEUX

En substance, le syndicat demandeur considère que :
1. l’accord objet de l’avenant prévoit en son article 2 être conclu pour une durée indéterminée et ne pouvoir être éteint que par dénonciation,
2. l’avenant prévoit explicitement de mettre fin à l’application de la convention territoriale et aux effets juridiques en découlant, sans procéder à une quelconque modification dudit accord. En cela, il ne peut s’agir d’une révision au sens juridique du terme,
3. en se fondant sur une décision de la Cour de cassation (Cass., soc., 25 avril 2001, n° 98-45.195), l’organisation syndicale rappelle que la disparition d’une convention collective n’est légalement prévue que par deux mécanismes : la dénonciation ou la mise en cause... Or, la voie utilisée est un hybride de dénonciation sans respect des délai et procédure sous couvert de révision. En cela elle est illégale.

De son côté, la partie défenderesse considère en retour que :
1. Il y a assimilation infondée de la part du demandeur entre la procédure engagée et ce qu’est une dénonciation. L’avenant ainsi conclu est une résiliation par consentement mutuel au sens classique du terme. Les parties à l’avenant n’ont fait que supprimer le contenu d’un accord aux fins de le remplacer par d’autres stipulations (telle la "novation"). L’UIMM rappelle que la pratique d’annulation par remplacement est validée par la Cour de cassation depuis les années 80. La procédure ainsi suivie n’est que l’expression de la volonté des parties et relève de la liberté contractuelle dont l’importance a encore été rappelée par la Cour de cassation en avril 2022. On ne saurait ainsi confondre cette révision-extinction avec une dénonciation déguisée, cette première étant conclue et voulue par les parties signataires là où cette seconde est par nature unilatérale.

2. Si l’on se reporte à l’analyse littérale de l’article L. 2261-13 du Code du travail instituant la procédure de révision, il est bien dit que cela peut concerner tout ou partie du texte. En conséquence de quoi, sa révision intégrale peut parfaitement emporter l’extinction de l’accord collectif.

3. Sur la décision de la Cour de cassation de 2001, la partie défenderesse considère que les juges n’ont pas entendu donner une liste exhaustive des moyens de mettre un terme à un accord collectif, en se cantonnant à évoquer la dénonciation ou la mise en cause. Elle n’aurait fait qu’être en réponse à ce qui est invoqué dans le jugement. Et, pour appuyer ses dires, elle ajoute qu’il existe d’autres moyens de rupture juridiquement consacrés tels que la caducité et la nullité...

° L’ANALYSE DES JUGES DU FOND

Se rapportant à la décision précitée de 2001 rendue par la Cour de cassation, les juges de la cour d’appel considèrent qu’un accord d’entreprise demeure en vigueur, tant qu’il n’a pas été régulièrement dénoncé ou mis en cause. Ils rappellent également que si la révision n’est en soi pas définie, elle permet une modification totale ou partielle d’un texte et que le code ne prévoit à aucun moment que ladite modification puisse entraîner la disparition de l’accord.
Se rapportant à l’avenant portant révision (extinction) de l’accord, les juges en déduisent l’intention des parties d’abroger l’accord en contournant les règles de la dénonciation. C’est ce qui à titre principal a motivé le jugement d’annulation de l’avenant.

° ECLAIRAGES

L’un des principaux enjeux dans cette décision est le périmètre de la liberté contractuelle versus le caractère contraignant des dispositions légales.

Comme cela a été relevé par la partie patronale, le législateur n’a en effet pas pris le soin de définir les contours du mécanisme de révision. Et alors même qu’il a consacré aux partenaires sociaux le pouvoir de créer du droit par le biais d’un accord collectif, d’en définir le contenu ainsi que les modalités de modification et de révision, le doute était permis sur la capacité des parties à aménager des dispositions légales au contour flou et donc le caractère d’ordre public n’était pas clairement établi.

On comprend également que les parties signataires de la nouvelle convention collective faisaient face à une double difficulté.

D’une part, le fait de réunifier de façon simultanée la branche de la métallurgie sous l’égide d’un seul accord.
D’autre part, de n’avoir d’autre choix que de signer un accord de substitution antérieurement à l’extinction des accords appelés à disparaître.

Dans le cadre du processus de dénonciation, ce n’est qu’une fois qu’un accord est dénoncé qu’il est prévu par le code l’obligation pour les parties d’entrer en voie de négociation d’un accord de substitution. L’article L. 2261-10 c. trav. prévoit en son 2e paragraphe qu’une négociation (de l’accord de substitution) s’engage dans la période de préavis de 3 mois. Et quand on sait que lorsque le législateur emploie le présent de l’indicatif cela a valeur d’impératif, on comprend la problématique de négocier d’abord un accord de substitution et d’engager par suite la procédure de dénonciation.

Mais, aurait-il pu en être autrement ? La convention de branche devant entrer en vigueur au 1er janvier 2024, elle est le fruit d’un nombre d’années conséquent de négociation. Si elle avait été initiée à compter du préavis, jamais il n’y aurait eu conclusion avant l’expiration du délai de 15 mois. Et, si tel avait été le cas, elle aurait été moins aboutie. A cela s’ajoute le fait qu’il y avait 76 conventions à renégocier, pour n’aboutir que sur une seule au final (hors le cas des accords portant sur des sujets non repris par la nouvelle CCN).

Face à cela, la procédure suivie a été jugée par les parties à l’accord comme étant la plus simple à mettre en place. Toutefois, le caractère pratico-pratique ne peut prendre le pas sur la sécurité juridique et les droits des salariés. En tout cas c’est le sens de la décision de la Cour d’appel qui, s’appuyant sur la décision de 2001 rendue par la Cour de cassation rappelle le caractère contraignant et limitatif des modes d’extinction prévus par le Code du travail.
Contournant la question de l’antériorité de la conclusion d’un accord de substitution, ce qui ouvre la question de sa faculté, elle rappelle avec force que la procédure de dénonciation aurait dû être enclenchée.

Est-ce que cette décision va faire tâche d’huile et engager des procédures pour les accords de la métallurgie ayant fait l’objet d’une révision-extinction ? Cela n’est pas exclure. Il n’est pas non plus à exclure que la Cour de cassation soit saisie de cette question aux enjeux juridiques et pratiques non négligeables en contestation de l’argumentaire parfois imprécis de la Cour d’appel. La partie patronale pourrait considérer que les juges n’ont pas répondu à toutes leurs prétentions.

Il est vrai qu’en l’état des motifs de la Cour d’appel de Chambéry, celle-ci se contente par moment d’être assez laconique, notamment lorsqu’elle rappelle la décision précitée de 2001 sur les motifs d’abrogation d’un accord collectif. Il n’est juridiquement pas faux de dire comme le fait la partie patronale qu’il existe d’autres modalités d’extinction d’un accord. Peut-être la Cour d’appel considère qu’il appartient à la Cour de cassation d’éventuellement compléter sa décision ?
Quoi qu’il en soit début février, la Cour d’appel de Chambéry n’avait pas encore été informée d’un transfert du dossier à la Cour de cassation. Affaire à suivre…

° DROIT EN ACTIONS

Si les salariés d’une entreprise et leurs représentants sont confrontés à la situation d’une dénonciation tardive de l’accord territorial de la métallurgie ou, en cas de contestation de la révision-extinction, il n’y aura toutefois pas d’exclusion du champ d’application de la nouvelle convention de branche.
Lorsque l’on se reporte à l’article L. 2252-1, il est dit "qu’en cas de concours de conventions, c’est la norme la moins large (au niveau de la branche) qui a vocation à s’appliquer, si aucune précision n’est faite par la convention la plus "large"". Sauf que la nouvelle convention collective nationale prévoit une interdiction de "concours"... Elle devrait donc avoir vocation à s’imposer, à une nuance près : l’interdiction de déroger à la norme plus large n’a vocation à s’imposer qu’aux normes moins favorables... (selon les principes qui s’appliquent en la cause... .

En conséquence, tant que les conventions territoriales ne seront pas régulièrement abrogées, les salariés bénéficieront des effets plus "favorables", entre celles-ci et la nouvelle convention nationale...

Enfin, n’oublions pas que la dénonciation s’inscrit dans un processus qui permet aux instances représentatives du Personnel et aux salariés de faire valoir leurs droits et de s’exprimer et ce au-delà de ce qui permet d’être convenu par les partenaires sociaux au niveau de la branche professionnelle. Faire vite, c’est bien, faire bien, c’est mieux... Or, la substitution de droits à des accords préexistants est plus souvent "restrictive", qu’ "extensive" de droits pour ceux auxquels elle s’applique, les salariés et leurs contrats de travail...

A suivre...

Auteur Michel PEPIN, juriste, Pôle service juridique du Secteur Juridique National de l’UNSA.
Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org

L'Unsa à votre service

UNSA
Actualités Céfu
TPE Retraités
Abo UNSA-Info
Les parutions de l'UNSA Voir-Écouter
Contact Transition écologique
UNSA-Boutique CES
UNSA-Conseils Vos Droits