Chères Entreprises, soyez vigilantes !
Aux syndicats, de nouvelles alertes, des champs et thématiques de dialogue social "responsable", de nouvelles co-constructions sociales responsables...
Du "devoir" à "l’obligation de vigilance", rien n’est moins sûr .
Des notions réassurées...
Le devoir de vigilance se caractérise par une obligation faite aux entreprises de prévenir les risques sociaux, environnementaux et de gouvernance, liés à leurs opérations ainsi qu’à celles de leurs partenaires, tels que sous-traitants ou fournisseurs.
Ce devoir de vigilance s’inscrit dans l’optique d’imposer une Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), par la création d’obligations spécifiques.
Pourtant annoncée en avril 2020, le Parlement européen a adopté seulement le 24 avril 2024, en session plénière, une nouvelle directive « C.S.D.D.D. » (« Corporate sustainability due diligence directive ») sur le devoir de vigilance des entreprises.
Le 24 mai 2024, le Conseil de l’Union européenne a donné son approbation définitive et a ainsi clôturé la procédure décisionnelle de la directive. Les États membres auront deux ans (après son entrée en vigueur, vingt jours après le 14 juin 2024, date de la publication de la directive au Journal Officiel de l’Union européenne), pour la transposer dans leur législation nationale.
La rapporteure Lara Wolters a exposé à la suite du vote de la directive que : « le vote d’aujourd’hui est une étape importante pour la conduite responsable des entreprises et un pas considérable vers la fin de l’exploitation des personnes et de la planète par les entreprises cow-boys. Cette législation est un compromis âprement obtenu et le résultat de nombreuses années de négociations difficiles. Je suis fière de ce que nous avons accompli avec nos alliés progressistes. Au cours de la prochaine législature du Parlement, nous nous battrons non seulement pour sa mise en œuvre rapide, mais aussi pour rendre l’économie européenne encore plus durable ».
UN DEVOIR DE VIGILANCE EUROPÉEN ?
Cette directive tend à protéger, par un devoir de vigilance les droits humains et environnementaux dans un mouvement de responsabilisation des entreprises.
Ainsi, elle exige des entreprises et de leurs partenaires, de prévenir, voire d’atténuer ou de cesser toutes les conséquences négatives sur les droits humains et environnementaux et ce, à tous les niveaux tels que l’approvisionnement, la production ou la distribution. De ce fait, le champ de la directive englobe l’esclavage, le travail des enfants, l’exploitation par le travail, l’érosion de la biodiversité, la pollution et même, la destruction du patrimoine naturel.
Dès lors, les entreprises concernées par la directive auront ce « devoir », qui se conçoit à travers cinq étapes, définies dans la directive :
• la définition d’une politique globale de vigilance ;
• l’identification des impacts négatifs réels ou potentiels sur les droits humains et environnementaux ;
• les réponses de gestion et d’atténuation de ces impacts ;
• la mise en place de mécanismes d’alertes et de notifications ;
• la définition de dispositifs de suivi et des indicateurs.
De plus, la directive impose aux entreprises d’adopter et de mettre en œuvre un plan de transition climatique, pour rendre leur modèle économique compatible avec la limite de 1,5 °C de réchauffement climatique, fixée par l’Accord de Paris (adopté lors de la COP21 en 2015).
QUELLES ENTREPRISES CONCERNÉES ?
La directive prévoit que les règles s’appliqueront aux entreprises et aux sociétés mères européennes, employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros, ainsi qu’aux franchises dans l’Union européenne réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d’euros, si au moins 22,5 millions d’euros ont été générés par des redevances.
Au total, il est estimé que la directive s’appliquera à environ 5 500 entreprises européennes, ce qui est moins qu’espéré initialement.
Par ailleurs, les règles s’appliqueront aux entreprises non-européennes, aux sociétés mères et aux franchises de pays tiers, qui atteignent les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’Union européenne.
Les entreprises n’entrant pas dans le champ d’application de la directive seront concernées indirectement, puisqu’elles pourront être des partenaires d’entreprises entrant dans le champ d’application de la directive.
Dès lors, toutes ces entreprises devront se soumettre aux règles liées au devoir de vigilance et ajuster leurs politiques, notamment par l’adoption d’un plan de transition climatique.
CONTRÔLE, SANCTIONS ET INDEMNISATION DES VICTIMES ?
Les États membres devront fournir aux entreprises des informations détaillées en ligne sur leurs obligations en matière de devoir de vigilance, via des portails pratiques par exemple.
Il faudra aussi que les États mettent en place une autorité de surveillance chargée de contrôler, d’enquêter et d’imposer des sanctions aux entreprises, qui ne respectent pas leur devoir de vigilance ou la mise en œuvre du plan de transition climatique.
Cette autorité pourra infliger des amendes, pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise. En parallèle, un réseau européen des autorités de surveillance sera établi, afin de soutenir la coopération et permettre l’échange de bonnes pratiques.
En cas de dommages causés par le non-respect de leurs obligations en matière de devoir de vigilance, les entreprises devront indemniser intégralement les victimes, par l’engagement de leur responsabilité civile.
LES SUITES ?
Après l’adoption de la directive par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne, elle a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 14 juin. Elle rentrera en vigueur le vingtième jour suivant la date de sa publication.
Ensuite, les États membres de l’Union européenne, dont la France, auront deux ans pour transposer la directive au sein de leur législation nationale. La France a déjà légiféré sur le devoir de vigilance, notamment par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
La France peaufinera son cadre national avec la nouvelle directive et sa conception européenne du devoir de vigilance, en intégrant notamment l’obligation pour les entreprises concernées d’établir un plan de transition climatique.
Les nouvelles règles établies, à l’exception des obligations en matière de communication, vont s’appliquer progressivement aux entreprises, puisque la directive prévoit une entrée en application progressive :
- à partir de 2027 pour les entreprises de plus de 5 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 1 500 millions d’euros ;
- à partir de 2028 pour les entreprises de plus de 3 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 900 millions d’euros ;
- à partir de 2029 pour toutes les autres entreprises relevant du champ d’application de la directive (y compris celles de plus de 1 000 salariés et un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros).
Des expectatives d’engagements de cette nature existaient déjà pour les entreprises publiques dans le code des marchés et des achats publics, mais même dans ces cas, dans une approche encore très bénévole, partielle et pas à ce niveau d’un nouveau devoir européen et d’une vraie responsabilité « documentée » de « vigilance ».
Dans le privé, seuls certains grands groupes ou grandes coopératives en faisaient un engagement volontaire, dans la perspective de RSE et « compliance », conçus surtout comme des outils de leur notoriété et dans des approches différenciatrices et « promotionnelles » de marques commerciales (« l’ensemble des processus qui permettent d’assurer la conformité des comportements de l’entreprise, de ses dirigeants et de ses salariés aux normes juridiques et éthiques qui leur sont applicables » ; une démarche, censée d’abord aussi valoriser l’image des entreprises, inspirer la confiance des consommateurs, fidéliser les salariés et stimuler l’innovation et des financements (parfois à fonds perdus) de ces valeurs nouvelle de l’entreprise responsable).
Les entreprises s’astreindront donc désormais de publier, évaluer et communiquer tous les résultats liés à la RSE, tandis que des autorités contrôlent et sanctionnent les manquements.
La directive vient concrétiser et donner autorité à une plusieurs modalités de satisfaction de la RSE d’entreprise promue par la norme ISO 26 000 et la Loi Pacte, la garantie de loyauté des pratiques ; une charte RSE ou « compliance » et des médias d’information ou collaboratifs des communautés de travail, les audits, labels et certification RSE, les études d’impacts positif et négatif des entreprises, la raison d’être, la déclaration de performance extra-financière (DPEF), la mise en place d’un plan environnemental, les bilans des émissions de gaz à effet de serre (bilan GES), les droits de l’homme et de l’environnement, plans d’actions et aides aux transformations écologiques et transitions énergétiques, lancements d’alerte (lois SAPIN et ses suites)...
En conclusion, cette directive demeure une nouvelle pierre à l’édifice au niveau de l’Union européenne, d’autant que le devoir de vigilance a vocation à devenir un impératif pour toutes les entreprises.
Assez critiquée pour la superficialité de sa mis en oeuvre et son manque encore d’incitations et de caractère obligatoire, le faire quantum de la sanction de celui-ci, cette directive fera sans doute l’objet de réformes, afin de renforcer son régime.
Il reste aussi à observer comment la France décidera de transposer cette directive, dans un contexte économique et politique vis-à-vis duquel les priorités risquent d’être toutes autres…
Il sera, en effet, nécessaire de contrôler à l’avenir que certaines entreprises, en fonction de la transposition de la directive et du calendrier progressif, respectent leur devoir de vigilance.
En attendant, l’UNSA invite les représentants du personnel à se saisir, dans les entreprises, de ces sujets de responsabilité, humanistes et sociétaux, existentiels pour l’avenir des emplois et des conditions de travail, de l’Humanité toute entière.
Auteure, Jade EL MARBOUH et Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA, Bagnolet.
Pour toute remarque, juridique@unsa.org
Ci-joint, la Directive.
L’UNSA est partie prenante à la plateforme RSE, dans le Pôle Syndicats de salariés.