Condamner l’entreprise pour travail pendant le congé maternité à l’aune de l’exigence ou non d’un préjudice !?
Pour débouter une salariée de sa demande de dommages-intérêts, l’arrêt, après avoir constaté que l’employeur avait manqué à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité, retient que la salariée ne justifie d’aucun préjudice.
En statuant ainsi, alors que le seul constat de ce manquement ouvrait droit à réparation, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Le Secteur Juridique UNSA revient sur cet arrêt et en explicite la construction juridique et la portée...
JURISPRUDENCE SOCIALE DU CONGÉ MATERNITÉ
A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 2024 n° 22-16.129.
Ci-joint, le rapport du Conseiller à la Cour de Cassation, l’avis de l’avocat général et la décision de la Cour de Cassation,
Par cet arrêt en date du 4 septembre 2024, la Cour de cassation se prononce sur le préjudice causé par la prestation de travail durant le congé maternité.
De quoi s’agissait-il pour quels faits de litige dans l’entreprise ?
La salariée avait été engagée comme assistance de direction le 16 décembre 2011 par une société de conseil immobilier. Elle a bénéficié d’un congé maternité à partir de juillet 2014, puis d’un congé parental en août 2015. En novembre 2017, elle a démissionné.
Elle a saisi la justice pour quatre raisons :
- demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale à la suite du congé maternité,
- demande de rappel de salaires au titre du treizième mois et des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour travail dissimulé, de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et d’indemnité légale de licenciement,
- demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
- demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation en matière de sécurité et de santé au travail.
La procédure...
Pour toutes ces demandes formulées par la salariée, le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel de Paris, pour celle-ci, par un arrêt du 3 mars 2022 ont débouté la salariée.
La juridiction d’appel a jugé qu’il n’y avait pas lieu à dommages et intérêts pour les visites médicales et le congé maternité car la demanderesse ne justifiait pas de l’existence d’un préjudice.
Sur le salaire, elle a retenu que les sommes en question faisant partie de la rémunération ne nécessitaient pas un tel rappel. La salariée a donc saisi la Cour de cassation.
La question qui se pose avant tout dans ce cas est de savoir si la violation des droits relatifs au congé maternité nécessite pour la victime de justifier un préjudice ?
° ECLAIRAGES :
Dans un premier temps, la Cour de cassation s’est prononcée sur la demande de dommages et intérêts pour absence de visite médicale, en jugeant que la cour d’appel qui a relevé que celle-ci ne justifiait d’aucun préjudice, a pris la bonne décision.
Dans un tel cas un salarié ne bénéficie que de droits subjectifs, clairs, précis et inconditionnels en matière de suivi médical, de sorte qu’il appartient à celui-ci de démontrer l’existence d’un préjudice.
Dans un second temps sur le rappel de salaires, la Cour de cassation réfute l’argumentaire de la Cour d’appel car cette dernière ne démontre pas que les parties avaient entendu faire application de la possibilité offerte par l’article 38 de la convention collective nationale de l’immobilier d’inclure le treizième mois dans la rémunération variable.
Enfin, à propos des dommages et intérêts pour violation de l’obligation en matière de sécurité et de santé au travail, la Cour d’appel qui a pourtant constaté que l’employeur a manqué à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé de maternité, a jugé que la salariée ne justifiait d’aucun préjudice pour lui refuser les dommages et intérêts. Alors que pour la Cour de cassation, le seul constat du manquement ouvre droit à réparation.
° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?
Les principaux articles sur lesquels se fondent la Cour de cassation pour prendre sa décision sont :
- l’article 38 de la convention collective nationale de l’immobilier du 9 septembre 1988, dans sa version antérieure à l’avenant n° 83 du 2 décembre 2019, notamment en ce qu’il prévoit que : « les salariés à temps complet ou partiel reçoivent en fin d’année un supplément de salaire, dit 13e mois, égal à 1 mois de salaire global brut mensuel contractuel tel que défini à l’article 37.3.1 […] ".
Toutefois, pour les salariés dont la rémunération est en tout ou partie établie sur la base d’un "barème de commission convenu entre les parties, le contrat de travail peut inclure le 13e mois dans la rémunération sous réserve qu’il fixe les modalités de règlement des commissions de telle façon que le salarié soit assuré de percevoir dans l’année civile une rémunération au moins égale au salaire minimum brut annuel correspondant à son niveau ou, pour les salariés relevant du statut de négociateur, à 13 fois le salaire minimum brut mensuel ».
- l’article L. 1225-17 du Code du travail en son alinéa 1er selon lequel : « la salariée a le droit de bénéficier d’un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de l’accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci » ;
- l’article L. 1225-29 du Code du travail selon lequel : « il est interdit d’employer la salariée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement. Il est interdit d’employer la salariée dans les six semaines qui suivent son accouchement ».
- L’article 8 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, selon lequel : « 1. les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleuses au sens de l’article 2 bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. 2. Le congé de maternité visé au paragraphe 1 doit inclure un congé de maternité obligatoire d’au moins deux semaines, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ».
° DROIT EN ACTIONS
Cet arrêt se rapproche d’un autre, en date du 14 février 2024, dans lequel la Cour de cassation rappelle que la simple constatation de la violation du droit à l’image d’un salarié ouvre droit à réparation (Cass. Soc, 14 février 2024 n° 22-18.014). En effet, elle considère que « en statuant ainsi, alors que l’employeur ne contestait pas avoir utilisé l’image du salarié pour réaliser une plaquette adressée aux clients, que le salarié faisait valoir dans ses écritures qu’il n’avait pas donné son accord à cette utilisation et que la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation, la cour d’appel a violé le texte ».
Louis BERVICK, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA,
Pour tout contact : juridique@unsa.org