Dialogue social et prévention des licenciements : priorité à l’anticipation

Lors d’une table ronde intitulée "Dialogue social, anticipation et prévention des licenciements économiques", Vanessa Jereb, secrétaire générale adjointe de l’UNSA, a appelé à un véritable changement de culture dans les entreprises : celle d’un dialogue économique structuré, ancré dans la stratégie, pour mieux protéger l’emploi.
Alors que les secousses économiques fragilisent l’emploi et que les restructurations se multiplient, la Fondation Jean Jaurès réunissait le 11 juin dernier -dans le cadre de son Observatoire du dialogue social- plusieurs acteurs clés autour du dialogue social dans la prévention des licenciements économiques.
Anticiper plutôt que subir
Pour Vanessa Jereb, « une réorganisation avec des conséquences sur l’emploi, c’est toujours la panique à bord. Cela montre qu’il n’y a pas eu d’anticipation. » À travers cette formule, elle pointe l’un des angles morts du dialogue social : son déclenchement souvent tardif, une fois les décisions stratégiques déjà prises. Pour elle, l’enjeu ne se limite pas aux suppressions de postes. Il s’agit avant tout d’obtenir la transparence sur la stratégie de l’entreprise afin d’anticiper les dynamiques économiques et sectorielles et donc les évolutions d’emploi.
Face aux défis posés par la transformation des métiers, la numérisation ou encore l’introduction de l’intelligence artificielle, Vanessa Jereb insiste sur l’importance d’un dialogue social « et économique » — trop souvent relégué à l’arrière-plan. « L’emploi, c’est une question d’activité, mais c’est aussi une question de stratégie », souligne-t-elle. Elle appelle notamment à renforcer l’information consultation du CSE sur les orientations stratégiques, qui devrait selon elle être annuelle. Même recommandation afin que les entreprises discutent réellement des scénarii alternatifs que les élus proposent avec leur expert.
Des outils d’anticipation sous-utilisés
Des dispositifs et outils existent pourtant : gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP), analyse de la situation financière, alertes économiques, recours à l’expertise… Leur activation par les entreprises se cantonne souvent à un simple respect - ou un respect minimal - des obligations du Code du travail afin d’éviter les entraves au CSE.
Le dialogue social exige par ailleurs du temps pour négocier, comprendre et construire des alternatives. Ce délai génère toutefois de l’incertitude, souvent mal vécue par les salariés. Ce constat est partagé par les autres intervenants de la table-ronde.
Une approche partagée, des pratiques contrastées
Du côté des entreprises, ces derniers suggèrent aussi de personnaliser les dispositifs d’accompagnement en fonction des compétences réelles des salariés plutôt que sur une logique uniforme afin de faciliter les projets de reconversion. L’objectif étant de mettre la question de l’emploi au cœur du dialogue social dans l’entreprise.
C’est dans cette optique que l’UNSA revendique un plan de développement des compétences obligatoire et négocié quelle que soit la taille de l’entreprise, ce qui ne semble pas hélas à l’ordre du jour.
Le cas particulier du secteur bancaire a également été abordé car il est confronté à une double lame de fond : la digitalisation et les délocalisations. Là aussi, les outils existent, mais leur usage dépend fortement des métiers concernés.
Un consensus sur le rôle clé du dialogue social
Le fait que le dialogue social, lorsqu’il est sincère, loyal, structuré et anticipé, permette de limiter les dégâts humains des restructurations fait l’objet d’un constat partagé. De surcroit, il peut générer des alternatives aux licenciements économiques.
Consacrée aux procédures de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), la deuxième table ronde met en lumière les avancées mais aussi les limites du cadre juridique actuel. Avocat en droit du travail, Étienne Colin a rappelle que depuis la loi de 2013, la logique du PSE a mis la négociation collective au centre, renforçant ainsi le rôle des représentants du personnel. Plus précisément, il souligne que l’institution d’un contrôle administratif variable sur le contenu des PSE – restreint quand ce dernier fait l’objet d’un accord majoritaire, renforcé quand il résulte d’un document unilatéral de l’entreprise – conforte significativement la négociation collective. L’entreprise a en effet intérêt à la signature d’un accord pour éviter un contrôle administratif accru. Toutefois, cette évolution présente des limites. La recherche d’un accord se concentre encore trop souvent sur le montant des indemnités versées aux salariés au détriment des mesures sociales de reclassement et de reconversion. Elles sont pourtant les plus utiles dans les petites structures et pour les salariés dont les chances de retrouver un emploi sont limitées.
De plus, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) salue un dispositif qui globalement fonctionne bien — avec un taux de contestation faible — mais qui gagnerait à être plus équitable, notamment pour les petites entreprises non concernées par le PSE formel. Le contrôle administratif reste donc nécessaire et doit s’adapter à la réalité économique de l’entreprise.
Enfin, l’idée d’un renforcement du dialogue social en amont du PSE, par exemple via la présence accrue des administrateurs salariés dans les conseils d’administration, ou par une meilleure transparence sur les aides publiques reçues, a été évoquée lors de la table-ronde. La reprise partielle de la loi Florange, pour inciter à la recherche de repreneurs de façon consécutive et non concomitante au PSE, a également été mentionnée comme piste de réforme.
Pour voir le débat en replay Fondation Jean Jaures- Observatoire du dialogue social