Filmer le poste de travail : lorsque le mode de preuve s’efface devant les droits des personnes...


https://www.unsa.org/1967

Le fait de filmer en permanence l’employé d’un restaurant qui exerce seul son activité en cuisine est attentatoire à la vie personnelle du salarié. Le procédé est disproportionné au but énoncé par l’employeur de sécurité des personnes et des biens...

JURISPRUDENCE SOCIALE

Cass. soc. 23 juin 2021, n°19-13856

https://www.courdecassation.fr/juri...

Le droit en questions...

Un salarié, cuisinier au sein d’une pizzeria a reçu plusieurs avertissements pour non-respect des règles d’hygiène, horaires et absences injustifiées. L’employeur l’avertit qu’il mettra en place un système de vidéosurveillance dans la cuisine où il travaille seul...

Le salarié est filmé en train de s’infliger une blessure volontaire, qui sera à l’origine d’un arrêt de travail. Son employeur le licencie pour faute grave après avoir visionné les images du salarié (lacération volontaire de l’avant-bras avec un morceau de verre...).

Le salarié conteste son licenciement devant le Conseil de prud’hommes estimant que la preuve de l’employeur n’était pas valable.

La Cour d’appel accède à la demande du salarié, reconnait l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en constatant que la preuve n’est pas recevable et ce, pour deux motifs :

  • le défaut d’information suffisante du salarié sur le dispositif de vidéosurveillance ;
  • l’atteinte à la vie privée du salarié par l’installation et l’activation constantes de caméra dans la cuisine où il travaillait seul.

L’employeur forme un pourvoi en cassation.

Selon l’employeur, la preuve est valable dans la mesure où le salarié connaissait l’existence de cette vidéosurveillance ; celle-ci ayant été installée pour des raisons de sécurité. Il relève que le salarié avait coutume de ne pas respecter les règles d’hygiène et de sécurité...

Dans quelles mesures un système de vidéo-surveillance sur le lieu de travail constitue-t-il une atteinte à la liberté individuelle des salariés ?

Décryptage...

La Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel. Pour les juges de la haute juridiction, la vidéosurveillance concentrée sur un seul et unique salarié, filmé de manière permanente est un mode de preuve excessive et disproportionné (on rajoutera, "en l’espèce") au but recherché.

Conséquence : ce mode de preuve, issu de ces enregistrements vidéos n’est pas opposable au salarié. Le licenciement qui en résulte est ainsi dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Et le droit dans tout cela ?

La Cour de cassation fonde son raisonnement sur l’article L 1121-1 du Code du travail qui dispose que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".

Le dispositif de surveillance est considéré comme attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité de personne et des biens.

Pour rappel, la Cour de cassation avait déjà, le 20 novembre 1991 posé comme principe qu’un employeur invoquant un agissement fautif du salarié doit être en mesure d’en rapporter la preuve.

Celle-ci doit être obtenue de façon licite et loyale (Cass soc, 20 novembre 1991, n°88-43-120), au risque, à défaut d’être rendue inopposable à quiconque...

Dans cette décision du 23 juin 2021, la Cour de cassation s’aligne aussi sur la position de la CNIL du 13 juin 2019, selon laquelle si la vidéosurveillance est légitime pour assurer la sécurité des biens et des personnes, elle ne peut pas conduire à placer les employés sous surveillance constante et permanente.

Même si les juges admettent que l’employeur puisse produire en justice des éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié, c’est aux conditions que :

  • cette production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et,
  • l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass soc 25 novembre 2020, n°17-19523).

On rappellera également que tout salarié a un droit à une vie et à un "espace" d’intimité personnelles sur le lieu de travail. Ce droit à une "vie personnelle" inclut une "tolérance" de l’immixtion de la vie et des comportements personnels et privés dans l’entreprise ; la limite : les conséquences sur le travail... La permanence de l’observation et du "voyeurisme" qu’elle induit reste difficilement justifiable... Et il n’était pas établi préalablement que le salarié avait l’habitude de se mettre volontairement en danger et de s’auto-mutiler, ce qui aurait pu justifier la mise en place de certaines mesures de surveillance, sous certaines conditions...

DROITS EN ACTIONS

  • Salariés : vérifiez que la caméra qui vous filme à votre poste de travail a une justification proportionnée aux risques auxquels elle est censée vous faire échapper ou l’entreprise.
    De manière générale, on ne surveille pas les salariés sans motifs justifiés.
  • Conseillers prud’hommes, défenseurs syndicaux, conseillers du salarié : la vidéosurveillance est, par nature, une atteinte aux droits fondamentaux de la personne et à ses libertés individuelles.
    Pour être justifiée, elle doit nécessairement respecter le principe de proportionnalité énoncé ci-dessus : proportionnalité au motif, à la nature et aux conséquences d’un risque encouru, en lien avec l’activité professionnelle ou avec l’entreprise elle-même, aux enjeux même d’un risque de manquement du salarié à l’exécution du contrat de travail...

En aucun cas, une caméra de surveillance placée en continue sur l’activité d’un salarié qui travaille seul ne sera, en toutes situations, admis.

Pour les praticiens du droit, c’est l’utilisation de ce mode de preuve qui devient sujet même de contestation et fait perdre tout fondement à des griefs et reproches opposés aux salariés, pour des comportements constatés via une caméra braquée sur le poste de travail...

Auteure, Sophie RIOLLET, Juriste, Service Juridique, Secteur Juridique National, Bagnolet.

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