Lanceur d’alerte licencié : le juge de l’urgence, juge du trouble manifestement illicite...


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Le juge des référés est compétent pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant du licenciement, suite à un signalement, d’un salarié lanceur d’alerte... C’est ce à quoi aboutit la procédure dans laquelle est intervenu le SPIC UNSA chez THALES, une évolution magistrale pour la défense des salariés qui réclament "justice" et qui s’exposent aux représailles de l’entreprise...

UN POINT D’ETAPE MAJEUR : l’UNSA y est pour quelque chose...

La Chambre sociale de la Cour de Cassation conforte le rôle du juge de l’urgence dans la défense des lanceurs d’alertes, aux termes d’un arrêt de cassation partielle rendu le 1er février 2023, pourvoi n° 21-24.271, le Syndicat SPIC UNSA était intervenant volontaire à cette instance.

° QUESTIONS DE DROITS

FAITS : le 24 mars 2019, une salariée a saisi le Comité d’éthique du groupe de la société employeur pour signaler des faits pouvant être qualifiés de corruption et mettant en cause l’un de ses anciens collaborateurs et son employeur.
Le 20 février 2020 le Comité d’éthique du groupe n’a pas donné suite à ce signalement.
Par la suite l’employeur convoquait la salariée à un entretien préalable à son éventuel licenciement et un licenciement lui était notifié le 27 mai 2020.
La salariée saisissait le juge des référés du Conseil des prud’hommes sollicitant, à titre principal, sur le fondement de l’article L. 1132-4, pour voir constater la nullité du licenciement prononcé en violation du statut protecteur du lanceur d’alerte...

L’ordonnance de référé rendue en première instance déboutait la salariée qui interjetait appel. L’arrêt rendu, en matière de référé le 16 septembre 2021, par la Cour d’appel de Versailles confirmait la décision de première instance, considérant : d’une part, que « l’appréciation du motif du licenciement relevait exclusivement des juges du fond » ; d’autre part, que le lien de causalité entre l’alerte et le licenciement n’était pas établi de manière non équivoque par la salariée, pas plus que les représailles envers celle-ci...

Sur ce point, l’arrêt d’appel indiquait, que « si le Conseil de prud’hommes ne pouvait s’appuyer exclusivement sur les pièces produites par la salariée pour exclure l’existence d’un lien manifeste entre la qualité de lanceur d’alerte et le licenciement, la Cour, sur la base des éléments objectifs produits par l’employeur, aboutit à la même conclusion.  »

Cette motivation contradictoire de l’arrêt d’appel, aux termes de laquelle le Juge des référés se déclare tout à la fois incompétent pour trancher le litige, mais apprécie tout de même les faits de la cause pour considérer l’absence de lien manifeste entre l’alerte et le licenciement, est cassée par l’arrêt de cassation partielle rendu le 1er février 2023 de la Chambre sociale de la Cour de Cassation.

Sous le visa des articles L. 1132-3 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 22 mars 2022, L. 1132-4 et R. 1455-6 du Code du travail, la Chambre sociale rend un arrêt de cassation partielle qui précise notamment que c’est à l’employeur qu’il incombe de prouver par des éléments objectifs que le licenciement du salarié lanceur d’alerte est étranger à son signalement. Le Juge des référés est compétent, même en présence d’une contestation sérieuse, pour mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue le licenciement du salarié lanceur d’alerte du fait de son signalement.

° ÉCLAIRAGES

L’arrêt rendu le 1er février 2023 précise ses motivations : « pour dire n’y avoir lieu à référé, l’arrêt (de la Cour d’Appel) relève qu’aucun élément ne permet de remettre en cause la bonne foi de la salariée à l’occasion des alertes données successivement à sa hiérarchie, puis au comité d’éthique du groupe et, en déduit, sur le fondement des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, la qualité de lanceur d’alerte de l’intéressée."

L’arrêt retient, d’abord, que le lien entre la réelle détérioration de la relation de travail et l’alerte donnée par la salariée ne ressort pas, de façon manifeste, des évaluations professionnelles de celle-ci et que, l’employeur, qui n’a pas eu la volonté d’éluder les termes de l’alerte, apporte un certain nombre d’éléments objectifs afin d’expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles.

Après avoir constaté que la lettre de licenciement déclinait des griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée relevant de l’examen du juge du fond. Alors que la Cour d’appel avait constaté que la salariée présentait des éléments permettant de présumer qu’elle avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, il lui appartenait de rechercher si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressée". D’où, la cassation...

Cet arrêt comporte une articulation concernant trois volets :
1° la reconnaissance préalable du statut de lanceur d’alerte du salarié ;
2° la charge de la preuve incombant à l’employeur de démontrer les éléments objectifs étrangers à l’alerte de nature à justifier le licenciement du salarié ;
3° la compétence du Juge des référés de mettre fin au trouble manifestement illicite résultant du licenciement d’un salarié lanceur d’alerte, consécutivement à une alerte.

° FONDEMENT JURIDIQUE

La reconnaissance préalable du statut de lanceur d’alerte du salarié
Selon son raisonnement, la Cour de Cassation considère qu’à titre préalable, il est nécessaire de déterminer, s’il existe des éléments de nature à remettre en cause la bonne foi du salarié lors de l’alerte :

  • le salarié a effectué un signalement de bonne foi et conformément aux articles 6 et 8 de la loi de 2016, il bénéficie de la qualité de lanceur d’alerte et de son statut légal protecteur,
  • le salarié n’a pas effectué un signalement de bonne foi ou, sa bonne foi est contestée par l’employeur et, dans ce cas, il ne bénéficiera pas automatiquement du statut protecteur du lanceur d’alerte.

A cet égard, il convient de rappeler que selon la loi de 2016, dite "Loi Sapin II", un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, la violation ou la tentative de violation d’un engagement international ratifié par la France, d’un texte de l’Union européenne, d’une loi ou d’un règlement.

La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 (en vigueur le 1er septembre 2022) est venue renforcer la protection des lanceurs d’alerte. Désormais, l’article L. 1132-3-3 dispose qu’ « aucune personne ayant témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou ayant relaté de tels faits ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2".

Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l’article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

La "bonne foi" est un élément important, qui permet d’exclure du champ de la protection des lanceurs d’alerte les actes de malveillance. L’article L.1121-2 précise le périmètre de la protection du lanceur d’alerte. Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat, ni de toute autre mesure mentionnée au II de l’article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Et ce, "pour avoir signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la même loi. »

Le lanceur d’alerte bénéficie donc d’un dispositif légal de protection, qui interdit les représailles de l’employeur entraînant, comme en l’espèce, un licenciement, ou toute autre mesure discriminatoire.

L’article L. 1132-4 prévoit qu’en cas de méconnaissance par l’employeur du dispositif légal de protection, tout acte pris par l’employeur à l’encontre du salarié lanceur d’alerte, suite à son alerte, est nul. L’article dispose : « toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre ou du II de l’article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est nul. »

2° La charge de la preuve incombant à l’employeur de démontrer les éléments objectifs étrangers à l’alerte de nature à justifier le licenciement du salarié. Afin d’éviter qu’en pratique le salarié lanceur d’alerte se trouve dans l’impossibilité de démontrer qu’il subit des représailles de l’employeur consécutives à son alerte, la charge de la preuve incombe à ce dernier.

Comme l’indique la Cour de Cassation en visant les dispositions de l’article L.1132-3-3 du Code du travail : "en cas de litige relatif à l’application de ces dispositions, dès lors que le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à l’employeur, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. »

De plus, l’arrêt susvisé souligne plus précisément encore aux termes de sa motivation, qu’il appartenait à la Cour d’appel de rechercher si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressée. Elle a donc violé les textes susvisés.

L’employeur doit justifier sa décision à l’encontre du salarié lanceur d’alerte par des éléments objectifs factuels qui seront appréciés par les juridictions du fond. En cas d’impossibilité de justifier d’éléments objectifs extérieurs à l’alerte, la sanction prise à l’encontre du salarié lanceur d’alerte sera annulée conformément à l’article 1132-4.

3° La compétence du Juge des référés de mettre fin au trouble manifestement illicite est affirmée.
L’article R.1455-6 du Code du travail dispose :
« La formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »

Cet article est un parallèle avec les articles 809 et 873 du Code de procédure civile qui fondent la compétence du Juge des référés en matière civile et commerciale en cas de trouble manifestement illicite.

La loi ne définit pas précisément le trouble manifestement illicite qui est constitué par la violation évidente d’une règle de droit, proche de la voie de fait.
Afin de pouvoir ordonner toute mesure de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite, le Juge des référés est compétent, même en cas de contestation sérieuse soulevée par l’employeur.

En l’espèce, le Juge des référés qui a constaté que les faits laissaient présumer la qualité de lanceur d’alerte du salarié aurait dû rechercher si l’employeur faisait état de faits objectifs étrangers à l’alerte et venant justifier la rupture du contrat de travail du salarié.

A défaut d’éléments objectifs rapportés par l’employeur, compte tenu du trouble manifestement illicite résultant du non-respect par l’employeur des dispositions législatives en vigueur relatives à la protection du lanceur d’alerte, le Juge des référés aurait dû annuler la sanction disciplinaire du salarié et ordonner sa réintégration dans l’entreprise.

C’est la Cour d’Appel de renvoi qui devra trancher ces points.

° DROITS EN ACTIONS :

Cet arrêt de la Cour de Cassation est "puissant" puisqu’il s’agit d’une des premières décisions de la haute juridiction, venant appliquer le très récent statut protecteur du lanceur d’alerte.

En outre, cet arrêt vient préciser très clairement l’articulation du dispositif allant de la compétence du Juge des référés, à la détermination de la qualité de lanceur d’alerte du salarié, à la charge de la preuve incombant à l’employeur de démontrer que la mesure prise à l’égard du salarié lanceur d’alerte repose sur des éléments objectifs étrangers à l’alerte...

A suivre, notamment devant la Cour d’Appel de renvoi.

Auteur, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA,

Pour tout commentaire ou question, juridique@unsa.org

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