Maintien dans l’emploi du salarié inapte, c’est au travailleur de démontrer la déloyauté de l’employeur
Par cet arrêt en date du 4 septembre 2024, la Cour de cassation se prononce sur les conditions de preuve d’une proposition de reclassement que le salarié considèrerait comme déloyale.
JURISPRUDENCE SOCIALE "RECLASSEMENT D’UN SALARIÉ INAPTE" DE LA COUR DE CASSATION
La preuve d’une proposition déloyale de reclassement, une équation à plusieurs inconnues...
JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION :
A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 2024 n° 22-24.005, ci-joint.
° DECISIONS DES JUGES
* COUR D’APPEL
Rappel : Il résulte des textes que lorsque l’employeur a proposé un emploi conforme, l’obligation de recherche de reclassement est réputée satisfaite et il appartient au salarié de démontrer que cette proposition n’a pas été faite loyalement.
Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt d’appel constatait que les pièces versées démontraient qu’au-delà des neuf postes proposés, tous éloignés géographiquement du domicile du salarié, il existait de nombreux autres postes à pourvoir et que la société ne produit pas le registre unique du personnel de ses établissements situés sur la région Normandie.
À défaut de rapporter la preuve qu’il n’existait pas en Normandie de postes disponibles compatibles avec les qualifications et les capacités physiques restantes du salarié, l’employeur ne démontre pas avoir respecté son obligation de reclassement dans des conditions suffisamment loyales et sérieuses .
* COUR DE CASSATION :
En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés. Elle casse le jugement de la Cour d’appel et "déboute" le salarié.
Les fait de l’affaire...
Un homme a été engagé en qualité de monteur courant fort en 2001. En 2017 il a été déclaré inapte par le médecin du travail, puis licencié sans possibilité de reclassement. Il a saisi le Conseil de prud’hommes pour diverses demandes relatives à ce licenciement.
Procédure...
Par jugement du 26 février 2020, le conseil des prud’hommes a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.
À l’inverse, en appel en 2022, il est jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et l’employeur est condamné à verser au salarié une somme à titre de dommages et intérêts.
Les juges d’appel considèrent que l’employeur n’apporte pas la preuve de l’absence en Normandie de poste disponible compatible avec les qualifications et capacités physiques restantes du salarié.
L’employeur a donc saisi la Cour de cassation : Il a bien rempli ses obligations, c’est-à-dire proposer au salarié « un emploi aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail".
L’" obligation de reclassement est réputée satisfaite, à moins que le salarié rapporte la preuve de la déloyauté de l’employeur dans l’exécution de son obligation de reclassement », et non l’inverse.
La question qui se pose avant tout dans ce cas est de confirmer qu’il est bien au salarié et non à l’employeur, comme le considère la Cour d’appel, d’apporter la preuve du reclassement ?
° ECLAIRAGES
Pour la Cour de cassation, il résulte des textes exposés que lorsque l’employeur a proposé un emploi dans des conditions conformes à la loi, l’obligation de recherche de reclassement est réputée satisfaite et il appartient alors au salarié de démontrer que cette proposition n’a pas été faite loyalement.
Fondement...
Pour rendre cet arrêt, la Cour de cassation a surtout invoqué :
L’article L. 1226-10 du Code du travail selon lequel « lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.
Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail »
Également l’article L. 1226-12 en son alinéa 3, du Code du travail selon lequel « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ».
Enfin, l’article 1354 du Code civil selon lequel « la présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve. Elle est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ; elle est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ; elle est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée ».
° DROIT EN ACTIONS
Cet arrêt est à rapprocher d’un autre dans lequel la Cour de cassation (Cass. Soc, 26 janvier 2022 n°20-20.369) juge que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
À savoir néanmoins que « la présomption instituée par ce texte ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».
En tout état de cause, la chambre sociale de la Cour de cassation juge traditionnellement que « l’appréciation du caractère loyal et sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond » (Cass. Soc. 23 novembre 2016, n°14-26.398).
Louis BERVICK, Juriste, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toutes questions, juridique@unsa.org