Règle de résolution du conflit de désignations d’une fédération syndicale et de l’un de ses syndicats affiliés : les statuts font Droit !
Par cet arrêt en date du 10 juillet 2024, la Cour de cassation se prononce sur le mode de règlement d’un conflit de désignation entre une fédération syndicale, et le syndicat qui lui est affilié, au regard des statuts et de la loi.
LES RÔLES PRÉDOMINANT DES STATUTS ET DES INSTANCES DÉCISIONNAIRES DES ORGANISATIONS SYNDICALES...
A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2024 n° 23-14.617
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
° DECISION DU JUGE DE CASSATION :
Pour la Cour de cassation, « le tribunal judiciaire a retenu à bon droit que la compétence de la fédération en matière de désignation était limitée aux représentants des comités centraux, comités de groupe, comités européens et mondiaux, dès lors qu’il existait un syndicat primaire dans l’établissement concerné, en sorte que la fédération étant dépourvue de la capacité statutaire de désignation d’un délégué syndical au sein de la société, la désignation par elle en cette qualité de M. [P] devait être annulée sans qu’il y ait lieu d’appliquer la règle chronologique ».
° FAITS :
Un syndicat reconnu représentatif dans une entreprise a désigné deux délégués syndicaux, en application de l’accord sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l’UES.
Puis, l’un d’eux a été remplacé par un autre délégué syndical, avant que le remplaçant démissionne de son mandat.
Pour pallier cette démission, la fédération syndicale a désigné un « délégué syndical de filiale » et deux semaines plus tard, le syndicat a quant à lui désigné un « délégué syndical de l’entreprise ».
La société a donc saisi le tribunal judiciaire pour obtenir l’annulation de ces désignations les jugeant surnuméraires (deux désignations pour une démission), la fédération syndicale a demandé l’annulation de la désignation effectuée par le syndicat, et inversement pour le syndicat qui a demandé l’annulation de la désignation effectuée par la fédération syndicale.
Qu’en est-il ?
° PROCEDURE :
Le tribunal judiciaire de Bobigny, dans un jugement du 28 mars 2023, a annulé la première désignation, celle effectuée par la fédération syndicale et rejeté la demande de cette même fédération en annulation de la désignation de son syndicat affilié.
- La fédération a donc saisi la Cour de cassation car elle considère :
- avoir compétence dans le champ géographique et professionnel des syndicats qui adhèrent à elle, sauf stipulation contraire dans les statuts ;
- l’article des statuts qui définit le champ de la désignation entre fédération et syndicat donne compétence à la fédération dans ce cas de figure, donc le juge doit a minima faire application de la règle chronologique et valider la première désignation.
Elle considère donc que le tribunal a violé le Code du travail, et dénaturé les statuts, ce qui a entrainé le pourvoi en cassation.
La question qui se posait avant tout dans ce cas était de savoir comment résoudre un conflit de désignation entre une fédération syndicale et son syndicat affilié ?
° ECLAIRAGES :
Pour la Cour de cassation, sauf stipulation contraire des statuts et sauf accord collectif plus favorable, la fédération peut exercer les droits conférés au syndicat adhérent, et se prévaloir des adhérents du syndicat pour l’exercice des prérogatives nées du Code du travail.
Également, il n’y a pas non plus, hors ces cas, de désignations possibles d’un nombre de représentants syndicaux supérieur à celui prévu par la loi.
Donc pour la Cour, si le syndicat désigne un représentant syndical en plus que ce qui est prévu, la désignation ouvre, à compter de la désignation en trop ou de la décision prise par l’organisation syndicale pour mettre fin à cette situation, un nouveau délai de contestation de l’ensemble des désignations en cause .
Aussi, il appartient aux syndicats de justifier des dispositions statutaires leur donnant compétence dans la désignation, ou de justifier de la décision prise par la fédération pour régler le conflit conformément aux statuts. A défaut, la règle chronologique s’applique .
Or, à la lecture des statuts, la compétence de la fédération en matière de désignation est limitée aux représentants des comités centraux, comités de groupe, comités européens et mondiaux, quand il y a un syndicat dans l’établissement concerné : la fédération est dépourvue de la capacité statutaire de désignation d’un délégué syndical au sein de la société, c’est pourquoi sa désignation doit être annulée, sans application de la règle chronologique.
En conclusion , le tribunal judiciaire de Bobigny a parfaitement appliqué les textes, et le pourvoi de la fédération syndicale est donc rejeté.
° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?
Les principaux articles sur lesquels pouvait se fonder la Cour de cassation pour prendre sa décision sont :
- l’article L. 2133-3 CT selon lequel les « unions de syndicats (et fédérations ?) jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre ».
- l’article 5 des statuts de la FNSCBA CGT selon lequel les syndicats membres élisent leur direction et désignent leurs mandatés après une assemblée générale.
- l’article 8 des statuts de la FNSCBA CGT selon lequel lorsque l’entreprise ou le groupe comporte plusieurs établissements, un syndicat doit être constitué au niveau .
° Droit en actions
Cette jurisprudence met en exergue la prise en compte des statuts, ce qu’ils prévoient ou non, ce qu’ils s’interdisent. Ceux-ci vont donc rythmer ce que l’article L. 2133-3 du code du travail permet à l’Union, la confédération et la fédération, sauf dispositions donc plus explicites ou dérogatoires que permet la liberté contractuelle.
Les statuts des confédérations des cinq organisations syndicales représentatives sur le plan national et interprofessionnel sont d’ailleurs extrêmement précis sur le sujet
Louis BERVICK, Juriste en Droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour une question, juridique@unsa.org