Salariés protégés, l’employeur n’est pas libre de "faire son marché" entre griefs à sanctions immédiates et fautes justifiant une demande d’autorisation administrative de licenciement !
Dans une décision du 8 décembre 2023 (n° 466620), le Conseil d’État précise le cadre de l’autorisation d’un licenciement par l’Administration d’un salarié protégé pour un motif disciplinaire.
Une telle intervention n’étant pas très fréquente, l’équipe "focus juridique de l’UNSA" va plus loin...
FOCUS JURISPRUDENCE DE L’AUTORISATION ADMINISTRATIVE DE LICENCIEMENT DES SALARIÉS PROTÉGÉS
A propos du jugement du Conseil d’Etat du 8 décembre 2023 n° 466620
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta...
Rappel du droit positif...
Lorsque le licenciement s’appuie sur un motif disciplinaire, il est calé par des règles de fond qui encadrent ce « pouvoir disciplinaire » de l’employeur, dans le respect du principe de la préservation d’un intérêt général à sauvegarder un mandat collectif et son expression/exercice dans l’entreprise et de préserver et protéger les salariés dépositaires d’un mandat de leurs collègues, élus dans l’entreprise ou/et désignés par le syndicat.
Prescriptions des faits et "non bis idem" ?
Deux règles principales trouvent à s’appliquer : le respect de la prescription des faits fautifs et le respect du principe « non bis in idem », c’est-à-dire l’interdiction faite à l’employeur de sanctionner deux fois un salarié pour les mêmes faits et griefs reprochés.
La prescription des faits fautifs engendre, fixée par l’article L. 1332-4 du code du travail, qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires, au-delà d’un délai de deux mois. Et ce, à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu, dans le même temps, à l’exercice de poursuites pénales.
Pour le principe « non bis in idem », puisque le code du travail n’évoque pas ce principe en matière disciplinaire, la jurisprudence en a construit le régime : il se calque alors sur celui de la sanction pénale selon lequel, « nul ne peut être poursuivi ou puni plusieurs fois en raison des mêmes faits " .
Il est alors convenu que le principe « non bis in idem » s’applique de manière stricte lorsque l’existence d’une première sanction et la sanction d’un fait identique sont réunies.
Ainsi, lorsque l’employeur sanctionne un salarié pour un fait fautif, il est considéré comme ayant épuisé son pouvoir disciplinaire et cette faute ne peut plus fonder une nouvelle sanction.
Dans l’affaire soumise au Conseil d’État, l’employeur avait eu connaissance, dans une même période de temps, de divers faits fautifs non prescrits, commis par un salarié protégé. Il a choisi de ne sanctionner qu’une partie des faits fautifs dans un premier temps, puis d’utiliser l’autre partie dans un deuxième temps, pour demander à l’Administration l’autorisation de licencier alors qu’il avait eu connaissance des faits à la date de l’infliction de la première sanction.
Dès lors, le Conseil d’État estime que l’administration qui a été saisie d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé pour un motif disciplinaire, ne peut légalement autoriser ce licenciement puisque le licenciement se fonde sur des agissements fautifs qui étaient déjà connus de l’employeur, à la date à laquelle il a prononcé une première sanction.
Le Conseil d’État confirme l’application du principe « non bis in idem ». Le salarié protégé peut légitimement s’opposer à la demande d’autorisation de son licenciement.
Nul doute que cette décision confère une précision appréciable pour les défenseurs syndicaux UNSA agissant dans la contestation du licenciement pour motif disciplinaire, mais aussi pour les conseillers du salarié et les conseillers prud’hommes.
° DROIT EN ACTIONS :
Il faut vérifier que l’employeur était en mesure d’utiliser une nouvelle fois son pouvoir disciplinaire avant qu’il ne demande l’autorisation de licencier, puisqu’il n’est pas en mesure de séquencer son action disciplinaire lorsqu’il a connu des faits fautifs dans une même période de temps.
En revanche, on regrettera que rien n’interdise à l’employeur d’invoquer encore une faute déjà sanctionnée pour aggraver une nouvelle sanction dans le cas d’une récidive.
Jade El Marbouh, Juriste en Droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA,
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