Travailleurs des plateformes, le lien de subordination est reconnu une nouvelle fois !


https://www.unsa.org/3359

En présence d’un lien de subordination, le contrat de prestation conclu entre une plateforme de mise en relation et un chauffeur est requalifié en un contrat de travail.

JURISPRUDENCE DES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES :

A propos de Cass. soc. 24 avril 2024, 22-17995 D.
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

 EN BREF

Par principe, « les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation [au répertoire des métiers notamment] sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail » - art. L. 8221-6 du Code du travail.

L’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.

Ce lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Il peut dans ce cadre constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.

Dans un arrêt du 24 avril 2024, la Cour de cassation, chambre sociale a retenu l’existence d’un lien de subordination, dès lors que le chauffeur réalisait des prestations dans le cadre d’un service organisé et dans un lien de subordination à l’égard de la plateforme de mise en relation « Le Cab ». Le contrat les unissant devait donc être requalifié en contrat de travail.

 CONTEXTE DE LA SAISINE

En l’espèce, un travailleur avait conclu un contrat de location d’un véhicule, ainsi qu’un contrat d’adhésion à un système informatisé spécifique, avec une société exerçant une activité d’exploitation d’une plateforme de réservation de véhicules de transports avec chauffeur dénommée « Le Cab ».

Par la suite, le travailleur avait ensuite demandé une requalification de ce contrat de prestation en un contrat de travail à durée indéterminée avec toutes les conséquences financières qui en résultaient.

La Cour d’appel donne gain de cause au chauffeur.

Un pourvoi est formé par la Société. Elle souligne que les motifs relevés par la Cour d’appel pour caractériser l’existence d’un contrat de travail au sein d’un service organisé sont insuffisants. Elle reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir constaté des directives sur les modalités d’exécution du travail, un contrôle sur le respect des consignes et des mesures de sanction découlant d’inobservation.

Comment s’apprécie l’existence d’un service organisé permettant de qualifier le contrat de prestation en un contrat de travail ?

 L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION

La Cour de cassation rappelle le principe jurisprudentiel définissant les critères propres au lien de subordination.

Ce dernier existe en cas d’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné. Dans ces conditions, le travail au sein d’un service organisé peut ainsi constituer un indice de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail (Cass. soc. 13 novembre 1996, n° 94-13187, BC V n° 386).

Analysant les éléments de fait au-delà des clauses du contrat de prestation, les juges ont relevé que :

  • le chauffeur n’avait pas le libre choix de son véhicule automobile et en cas de dommage, il devait le faire réparer par le carrossier choisi par la société ;
  • la société pouvait modifier unilatéralement le prix des courses à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires ;
  • la société procédait régulièrement à la modification des clauses des contrats d’adhésion et de location sans le consentement des chauffeurs ;
  • la société déterminait unilatéralement le montant des courses ;
  • le dispositif d’attribution de points de course institué par la société ; induisait nécessairement un rythme horaire à la charge des chauffeurs et les plaçait dans une situation d’exclusivité de fait à l’égard de la société ;
  • la société sanctionnait le refus de course par une déconnexion durant vingt minutes et la non-présentation sur le lieu de prise en charge d’une course acceptée par une désactivation de l’affectation des courses prioritaires pendant quinze jours.

 ECLAIRAGES

Dans d’autres affaires, notamment : Cass. soc. 13 avril 2022, nº 20-14.870), le lien de subordination n’a pas été reconnue. Pour celles-ci, le juge faisait ainsi valoir que le chauffeur était libre :
– de se déconnecter quand il le souhaitait, pouvant choisir ses jours et heures d’activité ;
– d’effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de tout autre personne, voire de les sous-traiter à d’autres personnes ;
– d’organiser comme il l’entendait les courses attribuées par la plateforme. Il plaidait également que :
– le seul fait pour une plateforme de mise en relation de déterminer unilatéralement le prix des prestations de transport réalisées par son intermédiaire ne caractérise pas un lien de subordination…
– … pas plus que le système de géolocalisation inhérent au fonctionnement d’une plateforme, dès lors que le système n’a pas pour objet de contrôler l’activité du chauffeur mais de permettre l’attribution du chauffeur le plus proche au client ;
– si le type de véhicule utilisé était stipulé au contrat, la location du véhicule auprès de la société était une simple faculté ;
– ne caractérise pas un pouvoir disciplinaire la possibilité pour une plateforme numérique de rompre unilatéralement le contrat, motivée par les seules évaluations de la clientèle en l’absence de tout contrôle opéré par la plateforme.

L’ordonnance nº 2022-492 du 6 avril 2022 a consacré de nouveaux droits en faveur des travailleurs des plateformes de mobilité, visant précisément à garantir et renforcer leur autonomie.

Ils ne peuvent plus notamment se voir imposer l’utilisation de matériel ou d’équipement déterminé (sous réserve d’obligations légales ou réglementaires), et ont la faculté de recourir à plusieurs intermédiaires, de déterminer leur itinéraire et de choisir leur plage horaire d’activité.

À l’échelle européenne, plus de 28 millions de personnes dans l’UE travaillent par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs plateformes de travail numériques et qu’en 2025, ce nombre devrait atteindre 43 millions de personnes.

Ainsi, après plusieurs semaines de blocage, les États membres ont enfin dit « oui », en mars 2024, au renforcement des droits des travailleurs des plateformes.

Sophie RIOLLET, Juriste, Pôle service juridique du Secteur Juridique National de l’UNSA.
Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org

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