Nullité du licenciement partiellement fondé sur la liberté d’expression


https://www.unsa.org/2431

Une entreprise ne peut pas licencier son salarié en faisant état de pléthore de motifs, lorsque la rupture est en partie fondée sur la violation de libertés fondamentales, telles que celles de la liberté d’expression, ou encore celle de ne pas partager toutes les manifestations "fun & pro" de la "culture" et du management de l’entreprise...

JURISPRUDENCE SOCIALE

Cass. soc., 9 novembre 2022, n° 21-15.208

https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

FAITS

Un salarié a été engagé en 2011 en qualité de consultant senior, puis promu directeur à compter de février 2014 et ce, avant d’être licencié en 2015 pour insuffisance professionnelle.

Il a donc saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail, ainsi que pour obtenir l’annulation de son licenciement.

Pour justifier ce licenciement, l’entreprise a relevé notamment :

  • son absence d’intégration de la valeur "fun & pro" de l’entreprise, qui se traduisait par la nécessaire participation aux séminaires et aux pots de fin de semaine, générant fréquemment une alcoolisation excessive encouragée par les associés, et par des pratiques prônées par les associés liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages ;
  • certains reproches sur son comportement (rigidité, son manque d’écoute, son ton parfois cassant et démotivant vis-à-vis de ses subordonnés et son impossibilité d’accepter le point de vue des autres), son désaccord sur les méthodes de management des associés et les critiques de leur décision, ...

La question était donc posée de savoir si le refus d’intégration de la valeur « fun & pro » de l’entreprise et les critiques émises par le salarié excédaient la liberté d’expression ?

L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION

Pour condamner l’employeur, la Cour de cassation se fonde donc sur la liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression.

Les prud’hommes comme la Cour d’appel n’ont pas satisfait sa demande, notamment en raison du refus d’accepter la politique de l’entreprise, du désaccord sur les méthodes de management des associés et les critiques de leur décision.
Pour la Cour d’appel, il ne pouvait, en revanche, lui être reproché l’absence d’intégration de la valeur « fun and pro ».
Pour la juridiction, les reproches qui sont faits au salarié dans la lettre de licenciement "ne peuvent être considérés comme une violation de sa liberté d’expression de nature à rendre nul le licenciement. Ils représentent une critique de son comportement et non une mise en cause de ses opinions personnelles".

La Cour d’appel a débouté le salarié de sa demande en réintégration, mais à tout de même condamné la société en paiement de diverses indemnités (rappel d’heures supplémentaires notamment).

Mais, la Cour de cassation ne ne l’a pas entendu de la sorte, et pour elle, dès l’instant où la Cour d’appel a constaté que le licenciement était, en partie, fondé sur le comportement critique du salarié et son refus d’accepter la politique de l’entreprise basée sur le partage de la valeur « fun and pro », qui participent de sa liberté d’expression et d’opinion sans qu’un abus dans l’exercice de cette liberté ne soit caractérisé, l’arrêt ne peut être que cassé et annulé et le salarié réintégré... .

ECLAIRAGE

La Cour de cassation prend une décision très claire, le licenciement, au moins en partie décidé en violation de la liberté d’expression est un licenciement "nul" puisque sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression.
Ce droit étant protégé à la fois par l’article L. 1121-1 du Code du travail, mais également par l’article 10, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales...

On notera également que les autres faits de l’espèce et griefs relationnels reprochés à ce salarié, tels que rapportés par le jugement de la Cour de cassation, pouvaient également être en lien avec un manque de convivialité ou d’intégration à la communauté de travail, sans que la haute juridiction n’ait pu constater que les juges du fond avaient identifié des conséquences sur le travail du salarié et des effets sérieux sur l’entreprise d’une adhésion plus que mitigée à la "culture festive" de l’entreprise et donc au management de celle-ci.

Auteur Louis Bervick, juriste, Pôle service juridique du Secteur Juridique National de l’UNSA.
Pour tous commentaires ou question, juridique@unsa.org

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