Inaptitude et licenciement : ce qu’il faut retenir de la jurisprudence de l’automne 2025 ?
ZOOM ACTU : Points d’actualités
Près de 230 000 licenciements pour motif personnel ont été comptabilisés au cours du second trimestre 2025 (DARES 2025). Dans cet ensemble, l’inaptitude médicale représente la seconde cause de licenciement, ce qui ne manque pas d’alimenter un contentieux significatif... (LIRE LA SUITE)
INSTANTANÉ DES DÉCISIONS ET JUGEMENTS DU DERNIER QUADRIMESTRE 2025...
Á travers quatre arrêts rendus en octobre et novembre 2025, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise les règles applicables en matière de prescription, d’obligation de sécurité, de consultation du CSE et de formalisme de l’avis médical.
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1.- INAPTITUDE D’ORIGINE PROFESSIONNELLE : attention au risque de prescription
° L’arrêt : Cass. Soc., 26 novembre 2025, n° 24-19.023 (Publié au bulletin)
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En cas d’inaptitude d’origine professionnelle, le salarié peut envisager d’agir en réparation d’un double préjudice consécutif d’une part à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle dont il a été victime et d’autre part, à la perte de son emploi, par exemple si l’inaptitude est liée à une faute de l’employeur ou si l’obligation de reclassement n’a pas été respectée.
Ces deux actions sont distinctes : la première relève de la compétence du Pôle social du Tribunal judiciaire et la seconde du Conseil de prud’hommes.
Les faits : Un salarié est licencié pour inaptitude. Il saisit d’abord le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS devenu Pôle social) pour faire reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie. Il obtient gain de cause. Plus de trois ans après la rupture du contrat de travail, il saisit le Conseil de prud’hommes pour demander l’indemnité spéciale de licenciement (article L. 1226-14 du Code du travail).
La décision : La Cour de cassation confirme la prescription de l’action prud’hommale.
Elle rappelle que toute action portant sur la rupture du contrat se prescrit par 12 mois. Or, l’action devant le Pôle social (pour la reconnaissance de la maladie professionnelle) n’interrompt pas ce délai. Pourquoi ? Parce que les deux procédures n’opposent pas les mêmes parties et n’ont pas le même but (respectivement une meilleure indemnisation de la maladie par la sécurité sociale et l’indemnisation de la rupture du contrat de travail).
En pratique : Ne jamais attendre la fin de la procédure Sécurité sociale ! Si un salarié conteste l’origine de son inaptitude ou invoque la faute inexcusable, il doit saisir le Conseil de prud’hommes dans les 12 mois suivant le licenciement, à titre conservatoire, et demander un sursis à statuer dans l’attente de la décision du Pôle social.
2. - OBLIGATION DE SÉCURITÉ : l’ancienneté de la faute n’exonère pas l’employeur.
L’arrêt : Cass. Soc., 26 novembre 2025, n° 24-17.048 (Inédit)
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Cet arrêt souligne que des manquements, même anciens, en relation directe avec l’inaptitude, engagent la responsabilité de l’employeur.
Les faits : Un salarié, exposé à des produits toxiques, développe une maladie professionnelle et est licencié pour inaptitude. Il demande la nullité du licenciement ou son absence de cause réelle et sérieuse, arguant que l’inaptitude découle d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. La Cour d’appel le déboute, au motif que les manquements de l’employeur étaient « anciens » et que le licenciement n’était pas intervenu dans ce contexte.
La décision : Cassation. La Haute Juridiction rappelle un principe fondamental : le Licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur. Le fait que le manquement soit « ancien » ne suffit pas à écarter la responsabilité de l’employeur s’il existe un lien de causalité avec l’inaptitude.
En pratique : Penser à invoquer le manquement à l’obligation de sécurité lorsque l’inaptitude médicale trouve son origine dans une exposition à effet différé.
3. - CONSULTATION DU CSE : un retard dans les élections peut-il justifier l’absence d’avis ?
L’arrêt : Cass. Soc., 15 octobre 2025, n° 23-22.357 (Inédit)
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Que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, l’employeur doit impérativement consulter le CSE avant toute proposition de reclassement (art. L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail), sauf procès-verbal de carence ou encore si l’avis d’inaptitude acte l’impossibilité de reclassement.
Si cette formalité n’est pas respectée, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Mais quid lorsqu’il n’y a pas encore de CSE ?
Les faits : Une association voit ses effectifs augmenter et dépasser le seuil de 11 salariés. Elle licencie un salarié pour inaptitude sans consulter le CSE, car les élections n’avaient pas encore eu lieu. L’employeur justifiait ce retard par la nécessité de négocier d’abord le périmètre des établissements distincts.
La décision : La Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait regardé comme tardive l’organisation des élections – plus d’un an après l’augmentation des effectifs.
Les juges du fond auraient dû vérifier si l’engagement des négociations sur le périmètre des établissements n’avait pas légitimement retardé le processus électoral.
En pratique : Pas de condamnation automatique de l’employeur en cas de retard dans la mise en place du CSE. Ce dernier doit toutefois prouver qu’il était actif dans le processus électoral.
4.- AVIS D’INAPTITUDE SANS POSSIBILITÉ DE RECLASSEMENT : l’esprit prime sur la lettre
L’arrêt : Cass. Soc., 26 novembre 2025, n° 23-23.532 (Inédit)
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L’employeur est dispensé de rechercher un reclassement si l’avis du médecin précise expressément que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » (articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du Code du travail).
Les faits : L’avis du médecin du travail indiquait : « tout maintien du salarié dans un emploi serait préjudiciable à sa santé ». Il manquait le mot « gravement ». Le salarié contestait la dispense de reclassement sur ce motif purement formel.
La décision : La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle fait preuve de pragmatisme : l’omission de l’adverbe « gravement » ne change pas le sens de l’avis médical. L’employeur était donc bien dispensé de rechercher un reclassement.
En pratique : Il est inutile de baser une contestation sur une simple erreur de plume du médecin du travail dès lors que son avis exclut clairement toute possibilité de reclassement dans l’entreprise.
Secteur JurIdique National UNSA
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TABLEAU RÉCAPITULATIF
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