Bonus-malus sur les contrats courts : des effets difficiles à estimer mais à priori limités
L’Unédic a publié récemment une première évaluation des effets du bonus-malus appliqué aux entreprises des secteurs utilisant régulièrement des contrats courts. Si le recours à ce type de contrat a fléchi ces dernières années, il est pour le moment difficile de l’imputer à ce dispositif.
Face à un modèle complexe, restreint et mal calibré, l’UNSA préconise une refonte du dispositif.
Le bonus-malus dans sa forme actuelle
Le système de bonus-malus sur les contrats courts est en œuvre depuis 2022. Il concerne les entreprises de 11 salariés et plus [1] de 7 secteurs d’activité ayant un taux de séparation moyen supérieur à 150 %. Ce taux correspond au nombre de fins de contrat de travail (dont contrats intérimaires et exceptés les démissions, les contrats d’insertion, d’apprentissage…) assorties d’une inscription à France Travail, rapporté à l’effectif annuel. Au total, 30 000 entreprises sont soumises au dispositif, soit 15 % de celles comptant 11 salariés et plus.
Le bonus-malus se traduit par une modulation de la cotisation patronale d’assurance chômage - entre 3 et 5,05 % pour un taux commun de 4,05 % - payée par les entreprises concernées en fonction du niveau du de leur taux de séparation rapporté au taux médian du secteur. Un niveau bas, relatif au taux médian, signifie un bonus et inversement un niveau élevé, un malus.
Depuis 2000, une explosion des contrats courts
Ce dispositif à l’apparence complexe, conçu par l’exécutif et issu du décret de carence de 2019 relatif à l’assurance chômage, a surgi après plusieurs tentatives infructueuses de taxation de certains contrats courts. Il était le pendant, côté employeur, de la réforme du calcul du Salaire journalier de référence pour les demandeurs d’emploi.
Il est censé répondre à la forte augmentation de la précarité de l’emploi depuis plusieurs décennies, caractérisée notamment par une flambée des contrats courts.
Ainsi, entre 2000 et 2020, leur nombre [2] a été multiplié par 2,5 et l’intérim a bondi de 40%. Toutefois, depuis 2016, on observe une certaine stagnation de ces emplois précaires dans le total des embauches.
Sur les 7 secteurs concernés par le bonus-malus, 5 d’entre eux (les 4 secteurs industriels [3] + transport et entreposage) utilisent très majoritairement l’intérim par rapport au CDD. Le rapport est plus équilibré dans le cas de l’hébergement-restauration et le CDD domine largement dans le secteur des « Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques » [4].
Des effets difficiles à estimer mais au mieux limités
L’Unédic rappelle les résultats d’une première évaluation de la Dares parue en février 2024. Elle révélait une baisse plus marquée des taux de séparation, entre 2019 et 2023, pour les entreprises soumises au bonus-malus que pour celles non concernées. Cependant, la Dares précise qu’il ne s’agit pas d’une évaluation du dispositif. Les résultats doivent donc considérés avec prudence.
L’Unédic a ensuite réalisé une nouvelle comparaison, plus fine, entre l’évolution des taux de séparation d’entreprises concernées par le bonus-malus et d’autres non concernées (groupe de contrôle). Pour les premières, le taux de séparation a baissé de 15 points et pour les secondes de 11 points, un écart qu’elle juge modeste. Par ailleurs, l’Unédic souligne que des travaux approfondis sont nécessaires pour évaluer plus précisément le dispositif. L’étude ne porte en effet que sur les 15 premiers mois du dispositif et les entreprises exemptées de bonus-malus la première année de sa mise en œuvre sont exclues de celle-ci [5].
D’autre part, la diminution des taux de séparation peut résulter d’autres facteurs. Par exemple, le ralentissement économique a pu conduire à une baisse ou à un ralentissement des embauches en CDD et en intérim. De surcroît, les politiques publiques de l’emploi peuvent aussi avoir joué un rôle. Ainsi, le développement de l’apprentissage a possiblement conduit à une substitution de fonctions réalisées par des salariés en CDD et en intérim. Enfin, les modifications des règles d’assurance chômage, en particulier pour le mode de calcul des allocations, et les restrictions sur la condition d’éligibilité ne doivent pas être sous estimées. En effet, cela a pu décourager des salariés en fin de CDD ou de contrats intérimaires de s’inscrire à France Travail sachant qu’ils ne pourraient bénéficier d’une indemnisation chômage.
Un dispositif très imparfait et loin d’être opérant
L’UNSA a alerté à de nombreuses reprises sur le caractère imparfait, trop restreint et peu incitatif de ce système de bonus-malus. Dans son étude, l’Unédic revient juge également le dispositif peu efficace.
Ainsi, la sélection des secteurs sur la base du taux moyen de séparation peut entrainer des situations inéquitables. Effectivement, certaines entreprises aux taux de séparation très élevés vont tirer la moyenne vers le haut, alors que le taux médian peut être relativement faible. Pour exemple, le secteur « Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques » dispose d’un taux moyen de séparation de 295 % mais d’un taux médian de 9 %. Les entreprises qui recourent très fortement aux contrats courts et paient une cotisation patronale au plafond de 5,05 % ne sont donc pas incitées à réduire leur taux de séparation. L’effort à consentir est en effet trop important pour se rapprocher du taux médian et bénéficier d’une contribution à l’assurance chômage plus faible.
En outre, le taux de cotisation va dépendre de l’entreprise mais aussi de celui des autres entreprises du secteur. Ainsi, une baisse du taux de séparation ne garantit pas une diminution de la cotisation patronale pour une entreprise si toutes les entreprises baissent dans la même proportion ce taux, et vice-versa en cas de hausse ! L’entreprise peut aussi maintenir son comportement et voir sa contribution baisser ou augmenter en fonction de l’évolution des taux de séparation des autres entreprises. Les entreprises ont donc peu de visibilité et peuvent difficilement anticiper le taux de cotisation chômage auquel elles seront soumises l’année suivante.
Enfin, ce système conduit aussi à des inégalités entre les entreprises incluses dans le périmètre du bonus-malus et les autres. En effet, une entreprise hors périmètre paiera la cotisation au taux normal de 4,05 % [6], tandis qu’une autre concernée par le dispositif, avec un taux de séparation possiblement supérieur, pourra disposer d’un bonus et moins contribuer à l’assurance chômage.
L’UNSA soutient une refonte du bonus-malus
Pour toutes ces raisons et au vu de la place trop importante prise par les contrats courts et la précarité de l’emploi en France, l’UNSA appelle à une rénovation du système de bonus-malus. Elle estime notamment que son extension à l’ensemble des secteurs d’activité est nécessaire pour davantage de cohérence mais aussi pour favoriser la réduction de la précarité au travail.
D’autant plus que si la modification du mode de calcul du SJR a eu des effets immédiats à la baisse sur l’allocation de nombreux demandeurs d’emploi (- 17 % pour 1,1 million de personnes), le bonus-malus pour les entreprises n’a pas eu les effets escomptés. Deux poids, deux mesures !
L’UNSA sera aussi attentive aux orientations du groupe de travail paritaire vers de possibles évolutions du dispositif et qui pourraient prochainement déboucher sur un avenant technique à la convention d’assurance chômage [7].
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