Fusions, déconstructions de branches professionnelles et des représentativités syndicales ?
Pour rappel, la liste des organisations syndicales « reconnues » représentatives au niveau national interprofessionnel et par branche est arrêtée par le ministère du travail après avis du Haut conseil du dialogue social en application de l’article L. 2122-11 du Code du travail. Ainsi, le calcul de la représentativité et l’appréciation des critères de représentativité au niveau de la branche se font au niveau de la branche.
Qu’en est-il en cas de fusion des champs d’application de plusieurs conventions collectives ?
JURISPRUDENCE FUSIONS DE BRANCHES & CONSEIL D’ETAT :
A popos de Conseil d’Etat du 17 juin 2024 n° 475128
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta...
- Les textes
Les articles L. 2261-33 et l’article L. 2261-34 du Code du travail font en principe obstacle à ce que le ministre chargé du Travail puisse édicter, au cours de la période transitoire, un arrêté de représentativité sur le périmètre d’une seule des branches préexistantes à la fusion ou au regroupement.
Ainsi, la question que le Conseil d’Etat devait traiter dans ce cas d’espèce était la suivante : en cas de fusion de conventions collectives, comment est appréciée la représentativité des organisations syndicales ?
FAITS : en l’espèce, un regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l’événement (IDCC n° 2717) et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins (IDCC n° 2397), conclu par accord du 8 février 2019 signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives des deux branches, à l’exception de l’Unsa, et étendu par arrêté ministériel du 10 juillet 2020.
- Le Ministre du travail
A l’issue du cycle électoral, le ministre du travail fixe, par arrêté du 13 décembre 2021, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la nouvelle branche issue de ce regroupement.
Par courrier daté du 14 juin 2021, l’UNSA "Spectacle et communication" demande au ministre de fixer également la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la CCN des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins.
Faute de réponse, l’UNSA saisit alors les tribunaux administratifs pour faire annuler cette décision implicite. La cour administrative d’appel fait droit à sa demande et enjoint le ministre d’édicter un tel arrêté.
Le ministre du travail se pourvoit devant le Conseil d’Etat contre cette injonction.
- Conseil d’Etat :
La haute juridiction administrative pose qu’en cas de fusion ou regroupement de branches, la représentativité des organisations syndicales s’apprécie, dès la nouvelle mesure de représentativité suivant et après la fusion ou le regroupement.
Elle se fait à l’échelle de la seule nouvelle branche issue de la fusion.
Cela concerne tant la négociation collective de l’accord qui a vocation à se substituer aux conventions collectives préexistantes, que de la négociation portant sur la révision des stipulations conventionnelles provisoirement maintenues.
Aussi, le ministre du Travail ne pouvait édicter, pendant la période transitoire postérieure à la fusion des branches en cause, au titre d’une nouvelle mesure de représentativité, un arrêté de représentativité des organisations syndicales dans le champ d’une seule des conventions collectives préexistantes pour les besoins de sa révision.
° Droit en actions
En cas de fusion des champs d’application de plusieurs conventions collectives, par décision du ministre chargé du Travail ou par accord collectif, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives dans le champ d’au moins une des branches faisant l’objet de cette fusion ou de ce regroupement sont (jusqu’à ce que leur représentativité soit, à l’issue d’un nouveau cycle électoral, mesurée sur le périmètre de la nouvelle branche) :
- certes admises à négocier l’accord qui a vocation à se substituer (dans un délai de cinq ans à compter de la date d’effet de la fusion ou du regroupement), aux stipulations conventionnelles applicables dans chacune des branches fusionnées ou regroupées.
- Mais, leur audience propre étant toutefois appréciée au niveau de la nouvelle branche et à l’aune de ce que deviennent leurs professions dans le nouvelle ensemble...
Le principe est donc posé et confirmé par le Conseil d’Etat.
En cas de négociation collective en cours ?
Lorsqu’elles ont, dans ces conditions, commencé à négocier l’accord de remplacement et qu’à l’issue de cette mesure de représentativité, elles perdent leur caractère représentatif à l’échelle de la nouvelle branche, ces organisations conservent la possibilité de continuer à participer aux discussions relatives à l’accord de remplacement, à l’exclusion de la faculté de signer cet accord, de s’y opposer ou de s’opposer à son éventuelle extension, qui n’appartient qu’aux organisations syndicales et aux organisations professionnelles d’employeurs reconnues représentatives sur le périmètre de la nouvelle branche au titre de la nouvelle mesure de représentativité.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat donne les pleins pouvoirs aux seules organisations patronales et syndicales reconnues représentatives dans le périmètre de la nouvelle branche fusionnée.
Pour les organisations syndicales de "spécialités" qui se retrouvent "diluées" dans un ensemble plus vastes de professions en général similaires ou connexes cela reste une perte au profit d’un poids relatif plus important et plus large en nombre et objets de dialogues sociaux. Une déperdition de la proximité au profit des moyens et des ressources ?
Sans compter cinq années de situations transitoires à la fois longues pour "aboutir" à préserver ce qui existe et courtes, pour ou engager utilement l’adaptation conventionnelle des réformes en cours, ou poser des orientations politiques pour chacune des professions concernées.
Les études manquent sur les effets particuliers des fusions de branches 5, 10 et 20 ans plus tard pour les professions...
Enfin, depuis 20 ans le processus de regroupement et fusion des branches s’impose d’autorité sur des principes désormais bien connus (optimisation des moyens et des ressources du paritarisme, activités réelles de branches, efficacité, professionnalisme, contrôle, uniformisation des règles et des pratiques, transpositions européennes, etc.).
Ces mouvements ne se faisant pas tous sans effets collatéraux défavorables aux travailleurs et à leurs représentations ou restrictions du pluralisme syndical, à la spécificité des besoins des professions/métiers concernés...
A ces égards, ce qui se passe dans d’autres branches professionnelles, comme celle des entreprises du bâtiment jusqu’à dix salariés, expression de la "liberté contractuelle" et de réalités sociales et champs/périmètres utiles à la négociation collective, spécifiques aux champs professionnels concernés, fait office de contre-exemple.
Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toute question, juridique@unsa.org