LE CONTRÔLE DE LA COUR DE CASSATION DE L’EXPERTISE C.S.E. : SOUS LA "LOUPE" DES RELATIONS SOCIALES...


https://www.unsa.org/3535

Comme dans les grands jeux télévisés, les élus du personnel bénéficient de « jokers » et peuvent ainsi recourir aux compétences d’un expert, soit un expert-comptable ou un expert habilité. Mais, au-delà de la métaphore, qu’en est-il de l’expert et de l’expertise Comité social et économique et du contrôle des juges ?

Moins de trac pour les auditions de l’expert !?

RAPPEL : l’expertise peut être demandée dans de nombreuses situations, notamment lors des consultations des élus et se déroule dans le cadre défini par les dispositions du code du travail.

L’expert désigné dispose d’une certaine autonomie dans l’accomplissement de ses missions. Il bénéficie en outre d’un libre accès à l’entreprise, ainsi que d’un droit à la communication des documents nécessaires à sa mission. En effet, il est essentiel que l’expert puisse étudier de nombreux documents de l’entreprise.

Cependant, au-delà de ce cadre et de ces premiers jalons, le déroulement de l’expertise dans l’entreprise reste peu précisé.

La jurisprudence éclaire alors ce processus, notamment les modalités entourant le droit d’auditionner les salariés. Ainsi, l’audition de salariés par l’expert demeure, par exemple, une pratique courante, mais les contestations sont fréquentes.
Le juge a contribué à construire ce cadre procédural de référence qui reste néanmoins inachevé et perfectible...

EN BREF : par des arrêts en dates du 28 juin 2023, n° 22-10.293 et du 10 juillet 2024, n° 22-21.082, la Chambre sociale de la Cour de cassation révèle que les modalités de l’audition des salariés par l’expert dépendent du cas de recours à l’expertise, et qu’en principe, l’expert doit pour auditionner les salariés obtenir l’accord de l’employeur et des salariés concernés, sauf en cas d’expertise pour risque grave, où le seul accord des salariés suffit.

° CONTEXTES DES SAISINES :

  • Dans la première affaire, le comité social et économique a recouru à un expert-comptable dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi.

Cependant, l’employeur a fait assigner le comité et l’expert devant le tribunal judiciaire, afin de réduire le taux journalier et le coût prévisionnel de l’expertise ainsi que sa durée.

  • Dans la seconde affaire, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a recouru à une expertise pour risque grave. L’employeur a fait assigner le CHSCT et l’expert devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir la limitation de la communication des documents sollicités par l’expert, ainsi que la réduction du coût de l’expertise, notamment parce que l’expert prévoyait l’audition de soixante-dix membres du personnel.

° LES ANALYSES DE LA COUR DE CASSATION

Dans la première affaire, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’expert-comptable et approuve le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre.

La Chambre sociale rappelle que l’expert désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi a libre accès dans l’entreprise pour les besoins de sa mission. En outre, l’employeur doit fournir à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.

Ainsi, la Chambre sociale a décidé que l’expert peut procéder à l’audition des salariés, seulement qu’après avoir obtenu l’accord de l’employeur et des salariés concernés.

Dans l’affaire en cause, l’employeur s’étant opposé aux entretiens, la réduction du nombre de jours prévus par l’expertise qui comprenait initialement les auditions, et donc du coût de l’expertise, doivent être accordées à l’employeur (étant entendu que le CSE peut à défaut d’accord saisir aussi par ailleurs et dans certains cas le juge de l’urgence).

Dans la seconde affaire, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur et suit le raisonnement du tribunal judiciaire du Havre.

La Chambre sociale indique tout d’abord que le CHSCT peut appeler un expert afin d’engager la procédure d’expertise pour risque grave, lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement.

Tout comme dans l’autre affaire, la Cour rappelle que l’employeur fournit à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission. En revanche, la Chambre sociale considère que l’expert désigné dans le cadre de cette expertise, peut auditionner certains salariés s’il le juge nécessaire, à la condition d’obtenir l’accord des salariés concernés. Si l’employeur conteste, le juge devra apprécier la nécessité des auditions prévues par l’expert. En l’espèce, du fait du risque constaté, il est justifié d’auditionner un grand nombre de salariés, avec leur accord.

° ÉCLAIRAGES

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation est précieuse pour ce contentieux, puisqu’aucune disposition légale ne prévoit le droit (ou "l’obligation") pour l’expert d’auditionner les salariés.

La Chambre sociale délivre et pose des solutions distinctes par type d’expertise, tout d’abord parce que l’objet des expertises n’est pas similaire.

Pour l’expertise pour risque grave, la Chambre sociale estime que cette expertise participe à la prévention des risques, qui fait partie des objectifs de l’employeur et du CHSCT. Dès lors, dans cette optique commune, l’audition des salariés ne devrait pas être freinée par l’employeur et son accord préalable.

En revanche, la portée de l’arrêt du 10 juillet 2024 reste encore incertaine.

La position de la Chambre sociale pourrait a priori être transposée aux expertises pour risque grave déclenchées par les comités sociaux et économiques.

Concernant les autres types expertises, puisque la Chambre sociale insiste bien sur l’expertise pour risque grave dans sa solution, il reste préférable de ne pas appliquer cette jurisprudence aux autres types d’expertises, avant d’obtenir un nouvel arrêt de la Cour l’autorisant.

La Cour de Cassation se prononce au regard d’une affaire et de faits de l’espèce déjà appréciés par les premiers juges et prend en compte ce contexte, ce qui est "normal".

Par ailleurs, il faut tempérer cette solution de l’arrêt du 10 juillet 2024, qui ne laisse pas carte blanche à l’expert lors de l’audition des salariés dans le cadre d’une expertise pour risque grave. En effet, la Chambre sociale prône le caractère nécessaire des auditions et marque l’importance du recueil du consentement des salariés avant leur audition (principe légal). De plus, les auditions doivent rester dans le cadre de l’objet de l’expertise.

Elles ne doivent pas servir un autre but.

La justice elle-même requiert ce qui est utile et nécessaire, proportionné, raisonnable, justifié, sans surenchère ni surcoût, détournement des moyens, à d’autres fins...

Enfin, l’expert demeure tenu aux obligations de secret et de discrétion, dans les mêmes conditions que les élus du comité social et économique.
Face à ces modalités, l’employeur peut contester les auditions prévues par l’expert, qui rentrent dans le cadre de l’expertise pour risque grave, financée en totalité par lui.

° DROIT EN ACTIONS

L’expert pilote l’expertise et reste responsable du bon déroulement de celle-ci.

Son intervention doit lui permettre en amont de caler le cahier des charges ou une simple expression des besoins au regard d’attendus possibles de l’expertise.

Ainsi, dans le cadre d’une expertise pour risque grave, lorsque l’expert soulève des risques psychosociaux et des souffrances au travail, il peut décider d’auditionner les salariés qui sont d’accord et ce, sans demander l’autorisation de l’employeur.

Les salariés peuvent légitimement refuser l’audition avec l’expert. L’expert ne peut pas les contraindre. Parfois les salariés refuseront parce qu’étant dans un lien de subordination avec l’entreprise, toutes les garanties ne sont pas assurées.

Pour un autre type d’expertise, il serait fortement conseillé à l’expert de recueillir au préalable l’accord de l’employeur.

Si la demande peut ne pas être instituée comme une obligation, la jurisprudence de la Cour de cassation ouvre plus largement la limite du choix des moyens à la contestation de l’employeur. Ce qui ne va pas vers la sérénité et la co-construction toujours possible d’une expertise juste et proportionnée.

Ainsi, même sans l’exigence de l’accord de l’employeur, ce dernier peut toujours contester les auditions prévues, voire l’expertise toute entière, en saisissant le tribunal judiciaire compétent (il le pouvait d’ailleurs déjà avant ces décisions). En effet, le caractère "nécessaire" des auditions comme de l’expertise reste requis.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 juin 2024 n° 23-13.975 (commenté sur UNSA.org : https://www.unsa.org/Une-enquete-pour-harcelement-morale-recommandee-mais-facultative.html), énonçait déjà, pour les "enquêtes" cette fois-ci, celles diligentées et dirigées en général par le seul employeur (ex. pour pallier le risques d’engagement de sa responsabilité au titre d’un manquement à l’obligation de santé-sécurité et la faute inexcusable), que dès lors que l’employeur a pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité du travailleur déclarant être victime de harcèlement, l’absence d’enquête interne n’est pas synonyme de manquement à l’obligation de sécurité.

Auteure, Jade EL MARBOUH, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.

Pour toute remarque, juridique@unsa.org.

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