Le caractère implicite de la dénonciation d’un accord collectif...


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Par un arrêt en date du 29 mai 2024, la Cour de cassation se prononce sur l’éventualité de l’abrogation implicite d’un accord collectif, par une décision unilatérale de l’employeur.

JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 2024 n° 22-23.415, ci-joint.

° EN BREF : FIN D’UN ACCORD COLLECTIF : L’ABROGATION IMPLICITE

Dispositif du jugement :

« En statuant ainsi, alors d’une part que la dénonciation d’un accord collectif ne peut être implicite, et qu’il résultait que le régime de prévoyance révisé par les décisions unilatérales contestées se bornait à modifier :

  • le montant des cotisations mensuelles à la charge des salariés de 43,91 euros au lieu de 41,28 ,
  • l’étendue des garanties pour les consultations chez les médecins généralistes et spécialistes, des soins d’optique, d’orthodontie et de prothèses,
  • la modification par voie de décision unilatérale de l’employeur, après l’échec des négociations collectives, d’un régime d’assurance complémentaire « frais de santé », rendue nécessaire par la mise en conformité avec des dispositions législatives et conventionnelles nouvelles, ne prive pas de cause et ne rend pas dès lors caduc un accord collectif antérieur relatif au cofinancement par les institutions représentatives du personnel de ce régime complémentaire au titre des activités sociales et culturelles, la cour d’appel a violé les textes susvisés  »

° FAITS & CONTEXTE D’ENTREPRISE :

Une association avait signé avec un syndicat un accord d’entreprise qui a permis aux salariés de bénéficier d’une assurance complémentaire « frais de santé ».

Ils en bénéficiaient conformément à un contrat conclu par l’employeur avec l’organisme de mutuelle concerné.

Deux mois avant cette date, est intervenu un accord complémentaire entre l’association et deux syndicats, prévoyant que le comité central d’entreprise a pour compétence d’assurer le cofinancement du régime frais de santé obligatoire institué par l’accord d’entreprise.

Puis un accord a été conclu entre le comité central d’entreprise et les comités d’établissement de l’association, pour fixer les modalités de répartition du financement de cette participation à l’accord frais de santé.

Suite à une loi de 2013 obligeant à mettre en place une assurance santé collective, une négociation a débouché sur une décision unilatérale. Les syndicats l’ont contesté, ce qui a donné lieu à de nouvelles négociations et un PV de désaccord le 20 décembre 2016.

° PROCEDURE :

Le comité central d’entreprise de l’association et un syndicat ont fait assigner l’association devant le tribunal judiciaire pour constater la remise en cause de l’accord par la décision unilatérale du 18 décembre 2015, de déclarer caducs les accords reposant sur cet accord de 2006 ainsi que de prononcer la nullité des décisions unilatérales (la partie mettant à la charge du comité central d’entreprise le règlement d’une partie des cotisations de la complémentaire santé).

Enfin, ils demandent la condamnation de l’association à rembourser au comité central d’entreprise et aux comités d’entreprise les sommes prélevées au titre du cofinancement de la complémentaire santé depuis 2015.

Tribunal judiciaire et Cour d’appel :

Le tribunal judiciaire puis la Cour d’appel de Poitiers sont allés à l’encontre de l’association en estimant qu’elle a dénoncé implicitement l’accord de 2006, et que les décisions de décembre 2015 et 2016 sont caducs car elles mettaient à la charge du comité central d’entreprise le règlement d’une partie des cotisations de la complémentaire santé, avec remboursement des sommes prélevées au titre du cofinancement de la complémentaire santé depuis le 18 décembre 2015.

Pourvoi de l’association

Moyens :

  • Un engagement unilatéral de l’employeur ne peut pas faire cesser les effets d’un accord collectif antérieur ;
  • l’accord d’entreprise du 27 octobre 2006 conserve sa cause, et reste en vigueur, aussi longtemps que ce contrat ne prend pas fin, peu important qu’il soit modifié ;
  • la simple modification du contrat frais de santé conclu entre l’employeur et la mutuelle, ou la prétendue fin des effets de l’accord d’entreprise ne pouvaient faire perdre son objet à l’accord d’entreprise du 4 décembre 2006 et le rendre caduc comme l’a jugé la Cour...

La question qui se pose avant tout dans ce cas est de savoir si la dénonciation d’un accord d’entreprise peut être implicite et liée à une décision unilatérale de l’employeur ?

° ECLAIRAGES :

Selon la Haute juridiction, la Cour d’appel a jugé :

  • les signataires sont fondés à invoquer la caducité d’un accord collectif, dès lors que ce dernier a perdu son objet ;
  • la décision unilatérale de l’employeur institue un nouveau régime de prévoyance collectif à caractère obligatoire au sein de l’association, sous forme d’un régime de base obligatoire et d’un régime facultatif dit « sur-complémentaire » ; cette décision unilatérale de l’employeur se substitue en totalité à l’accord d’entreprise de 2006, qui a donc cessé de produire tout effet juridique contrairement à ce que dit l’employeur, qui prétend que le régime institué par l’accord du 27 octobre 2006 aurait été simplement adapté ;
  • Que l’accord du 4 décembre 2006 est devenu caduc par défaut d’objet, donc l’employeur ne pouvait maintenir un cofinancement à la charge du comité central d’entreprise par décisions unilatérales des 18 décembre 2015 et 9 décembre 2016.

Or, pour la Cour de cassation, la dénonciation d’un accord collectif ne peut être implicite, et le régime de prévoyance révisé par les décisions unilatérales se contente de modifier le montant des cotisations mensuelles à la charge des salariés, ainsi que l’étendue des garanties.

Elle ajoute que la modification du régime d’assurance complémentaire « frais de santé », instauré par accord collectif, par une décision unilatérale après l’échec des négociations, dans un impératif légal, ne prive pas de cause et ne rend pas caduc un accord collectif antérieur relatif au cofinancement par les institutions représentatives du personnel de ce régime complémentaire, au titre des activités sociales et culturelles.
L’arrêt de la Cour d’appel est cassé et annulé.

° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?

Les principaux articles sur lesquels se fondent la Cour de cassation sont l’article 1134 devenu l’article 1103 du code civil selon lequel : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi  ».

Également, l’article L. 2261-9 CT sur la dénonciation des accords collectifs selon lequel : «  la convention et l’accord à durée indéterminée peuvent être dénoncés par les parties signataires. En l’absence de stipulation expresse, la durée du préavis qui doit précéder la dénonciation est de trois mois. La dénonciation est notifiée par son auteur aux autres signataires de la convention ou de l’accord. Elle est déposée dans des conditions prévues par voie réglementaire  ».

Ensuite, l’article L. 2262-1 CT sur les obligations d’exécution des conventions et accords collectifs selon lequel : « sans préjudice des effets attachés à l’extension ou à l’élargissement, l’application des conventions et accords est obligatoire pour tous les signataires ou membres des organisations ou groupements signataires ».

Enfin, la Cour se fonde sur les accords d’entreprise des 27 octobre 2006 et 4 décembre 2006.

° DROIT EN ACTIONS

Cette jurisprudence est à rapprocher particulièrement d’un arrêt déjà rendu par la Cour de cassation, en date du 19 avril 1989, selon lequel la dénonciation d’une convention collective ou d’un accord collectif de travail doit être notifiée par son auteur aux autres signataires de la convention ou de l’accord. Lorsque l’employeur notifie la dénonciation aux représentants syndicaux au comité d’entreprise, la cour d’appel est dans son droit lorsqu’elle décide que les accords n’avaient pas été valablement dénoncés - Cass. Soc, 19 avril 1989 n° 87-45.530.

Louis BERVICK, Juriste en droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA, Bagnolet.

Pour toute précision : juridique@unsa.org

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