Licenciement et témoignages anonymes : bas les masques mais avec précaution !


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Dénoncer, cafarder, jouer les balances… Les expressions ne manquent pas pour décrire plus ou moins poliment une dénonciation. Dans un monde du travail où parler peut parfois coûter cher, certains préfèrent rester dans l’ombre.

Mais, quid lorsque le ou les témoignages coûtent son poste à un salarié ? Quel crédit accorder à ce type d’élément à charge et comment alors garantir les droits de la défense et celui à un procès équitable ? Les juges de la Chambre Sociale ont essayé d’y voir plus clair…

Licenciement et témoignages : "anonymisés" n’est pas "anonymes"...

À PROPOS DE CASS. SOC., CHAMBRE SOCIALE 19 MARS 2025.
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

CE QU’IL FAUT RETENIR :

Dans un arrêt en date du 19 mars 2025, la Chambre sociale de la Cour de cassation est venue infléchir sa position sur la crédibilité des témoignages anonymisés dans le cadre d’un licenciement disciplinaire.

Elle admet que de tels témoignages, bien qu’anonymisés a posteriori, peuvent suffire à établir la faute grave d’un salarié, dès lors que certaines garanties sont réunies.

Une fois passés la stupeur et le tremblement, l’on se dit que cette décision constitue une évolution notable de la jurisprudence antérieure (alors plus réticente à admettre ce type de procédé), et s’inscrit dans la lignée d’un équilibre à rechercher entre droit à la preuve, protection des témoins et respect du contradictoire.

En l’espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave en raison d’un comportement agressif et violent envers ses collègues, attesté par des témoignages recueillis par un commissaire de justice, puis anonymisés pour protéger leurs auteurs. Le salarié avait contesté son licenciement devant la juridiction prud’homale, laquelle avait écarté ces témoignages comme dépourvus de valeur probante. L’employeur s’étant pourvu en cassation, la Chambre sociale censure la décision des juges du fond, reconnaissant que des témoignages anonymisés peuvent, sous conditions, suffire à rapporter la preuve d’une faute grave.

La question posée à la Cour était donc de savoir si des témoignages anonymisés peuvent, à eux seuls, fonder un licenciement disciplinaire sans violer les droits fondamentaux du salarié au respect du contradictoire et à un procès équitable ?

La Haute juridiction répond par l’affirmative, à condition que l’anonymisation soit justifiée par des circonstances particulières, et que des garanties soient apportées quant à la fiabilité des témoignages.

I. L’évolution jurisprudentielle en faveur d’une prise en compte encadrée des témoignages anonymisés

Une méfiance de principe vis-à-vis des témoignages anonymes...

Traditionnellement, la jurisprudence sociale distinguait strictement entre les témoignages anonymes, dont l’auteur est inconnu de toutes les parties, et les témoignages anonymisés, dont l’identité est connue de celui qui les produit, mais masquée pour protéger le témoin. Si les premiers étaient jugés irrecevables car contraires au principe du contradictoire, les seconds n’étaient acceptés que de manière très restrictive, à condition d’être corroborés par d’autres éléments de preuve.

Cette prudence s’expliquait par la difficulté pour le salarié de contester ou d’être confronté à ses détracteurs lui offrant ainsi un droit de réponse.

Dès lors, la Cour de cassation exigeait que les témoignages anonymisés ne constituent jamais la preuve déterminante d’un manquement disciplinaire, sauf à être étayés par d’autres pièces objectives.
Ce type de pièce était donc recevable pourvu qu’elles fussent étayées, corroborées par d’autres éléments plus probants et matériellement vérifiables. Mais en 2025, il apparait que cette position ne soit plus aussi ancrée et immuable.

La cour revisite partiellement sa position : les témoignages anonymisés accueillis à titre principal
Dans l’arrêt du 19 mars 2025, la Cour infléchit de façon significative en admettant que des témoignages anonymisés peuvent suffire, à eux seuls, à prouver la faute grave, sous certaines conditions.

En effet, la Haute juridiction fonde sa décision sur le droit fondamental à la preuve, principe général du droit, et sur l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur (cf. arts. L. 4121-1 et L 4121-2 du Code du Travail).

En cas de risque avéré de représailles, l’anonymisation est justifiée et la production de tels témoignages, dès lors qu’ils sont fiables et circonstanciés, peut être admise comme moyen de preuve principal. Il s’agit là d’une évolution absolument essentielle du droit de la preuve, et qui s’inscrit dans une approche pragmatique des réalités du monde du travail où trop souvent des salariés peuvent légitimement craindre des représailles s’ils dénoncent les comportements fautifs d’un collègue ou de la Direction.

II. Un encadrement strict garantissant l’équilibre entre protection des témoins et respect des droits de la défense

L’anonymisation oui, mais à condition qu’elle soit réelle et vérifiable
Dans cette affaire, l’anonymisation a posteriori des témoignages avait été motivée par un risque avéré de représailles pour les témoins, le salarié ayant déjà été sanctionné pour des comportements violents. Il ne s’agissait donc pas d’un anonymat de convenance, mais d’une mesure de protection nécessaire pour garantir la sécurité physique et morale des collègues témoins. Cette exigence mue par la nécessité, vise à éviter que cette méthode d’une époque peu reluisante, ne devienne un outil systématique qui permettrait de contourner les principes fondamentaux du droit au procès équitable garanti par l’article 6.1 de la CEDH.

Des garanties procédurales quant à la fiabilité des témoignages

La recevabilité de ces témoignages repose également sur les garanties procédurales mises en place par l’employeur. En l’espèce, les témoignages avaient été recueillis par un commissaire de justice, garantissant un cadre formel, impartial et conforme aux exigences de loyauté de la preuve.

Ainsi, le statut de l’enquêteur (qu’il soit un officier ministériel, voire même un inspecteur du travail) peut constituer une garantie suffisante quant à la crédibilité et à l’objectivité des propos recueillis. Elle invite ainsi les employeurs à privilégier des modalités de recueil de preuve sérieuses et encadrées.

DROITS EN ACTION

Par cet arrêt, la Cour de cassation entérine un assouplissement notable de sa jurisprudence, en admettant la possibilité pour un employeur de fonder un licenciement disciplinaire sur des témoignages anonymisés seuls, à condition de respecter des conditions strictes : justification concrète de l’anonymisation et garanties procédurales assurant la fiabilité des déclarations. Ce faisant, elle entend préserver un juste équilibre entre le droit à la preuve, l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur et le respect des droits de la défense du salarié.

Il est impératif de faire montre d’une grande prudence avec ce type de procédé qui certes correspond à une réalité du monde professionnelle devenu plus brutale et violent, mais cette seule constatation ne saurait justifier des moyens qui empièteraient allègrement sur des droits fondamentaux ; la brèche est ouverte gageons qu’elle ne se transforme pas en gouffre.

Secteur Juridique National UNSA

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Crédit : Freepik

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