Promotion syndicale digitale et droit des marques...
Peut-on utiliser une marque masquée dans une vidéo promotionnelle sans enfreindre le droit des marques ?
Aujourd’hui, avec les vidéos promotionnelles sur des plateformes comme YouTube, la frontière entre promotion légitime et contrefaçon de marque devient floue. Alors, peut-on vraiment utiliser un produit concurrent en cachant juste son logo ? C’est la question que pose l’affaire Kible vs Tali en date du 15 novembre 2024, qui interroge sur les limites de l’usage des marques, le principe de l’épuisement du droit de marque, et les règles de la concurrence déloyale dans l’Union européenne.
ÉTUDE JURIDIQUE :
Au cœur de l’affaire : la société Kible accuse la société Tali d’avoir utilisé son boîtier de géolocalisation Georide dans une vidéo promotionnelle tout en cachant le logo avec un autocollant. Pour la société Kible, c’est de la contrefaçon de marque et de la concurrence déloyale. La société Tali, de son côté, répond en invoquant l’épuisement du droit de marque pour se défendre.
Quid de l’épuisement du droit de "marque" ?
C’est comme quand on achète un t-shirt de marque. Une fois vendu légalement, le propriétaire de la marque ne peut plus contrôler ce qu’on en fait du t-shirt : on peut le revendre, le montrer dans une vidéo, etc.
L’idée, c’est que la marque a déjà été payée une fois, donc elle n’a plus de « pouvoir » sur l’usage du produit, à condition que le produit ne soit pas modifié d’une manière qui pourrait tromper l’internaute sur son origine !
Conflit à l’ère du digital ?
Les protagonistes : la société Kible, titulaire de la marque Georide, spécialisée dans les boîtiers de géolocalisation pour motos. La société Tali, société concurrente, accusée d’avoir utilisé un boîtier identique à celui de la société Kible dans une vidéo promotionnelle sur YouTube, en cachant le logo Georide avec un autocollant portant son propre logo.
L’origine du litige : la société Kible découvre une vidéo de la société Tali montrant un boîtier de géolocalisation similaire au sien, utilisé pour promouvoir un produit Tali. Le logo Georide est masqué, mais les commentaires des internautes montrent une confusion sur l’origine du produit. La société Kible accuse alors la société Tali de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale.
La question centrale devient : masquer le logo d’une marque dans une vidéo promotionnelle, est-ce une contrefaçon ou un usage légitime ?
Usage de la marque dans l’UE : Quelle protection pour les titulaires ?
Dans l’Union européenne, le droit des marques est encadré par le Règlement (UE) 2017/1001 sur les marques de l’Union européenne.
Par ailleurs, l’article L.713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) précise qu’il est interdit d’utiliser un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.
Dans l’affaire, la société Kible soutient que : Le boîtier concurrent est identique à son produit Georide, créant un risque de confusion quant à l’origine du produit.
En cachant le logo Georide, la société Tali a utilisé le produit sans autorisation, enfreignant ainsi l’article L.713-2 du CPI.
Concurrence déloyale : Quand l’imitation va trop loin…
En plus de la contrefaçon, la société Kible accuse la société Tali de concurrence déloyale, en affirmant que : la société Tali a promu son produit en utilisant le boîtier Georide en remplaçant juste le logo par le sien, ce qui est une imitation servile. Le terme « ride » utilisé dans « Tali ride » est trop proche de « Georide », renforçant le risque de confusion.
Cacher un logo tout en montrant un produit identique est une pratique déloyale qui profite de la notoriété de Georide sans investir dans la recherche et le développement.
Défense du contrefacteur !?
L’épuisement du droit de marque, prévu à l’article L.713-4 du CPI : « le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans l’Union européenne sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. »
La société Tali soutient qu’en ayant acheté le boîtier légalement, elle peut l’utiliser dans une vidéo promotionnelle, à condition de ne pas afficher le logo.
Exception
L’article L.713-4 du CPI ajoute que le "titulaire de la marque peut s’opposer à la revente de ses produits s’il justifie de motifs légitimes, notamment si le produit a été modifié ou altéré d’une manière qui pourrait induire les consommateurs en erreur".
La société Kible rétorque alors que : cacher le logo est une modification qui altère l’origine du produit, en trompant les consommateurs.
Décision du tribunal : Un usage légitime ou illégitime ?
Le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté les accusations de contrefaçon, car aucun signe Georide n’était visible dans la vidéo et juge que le boîtier utilisé avait une forme standard, sans élément distinctif visible, donc pas de confusion possible pour le consommateur.
Les juges considèrent que le terme « ride » était descriptif et non parasitaire et que cacher le logo n’était pas une modification suffisante pour empêcher l’épuisement du droit de marque. La société Kible perd le procès et doit 7000 euros de frais de justice à la société Tali.
DROIT EN ACTIONS SYNDICALES...
L’affaire société Kible vs société Tali, même si la décision peut surprendre (peut-être mal défendue, l’entreprise victime aurait dû agir par d’autres moyens juridiques et sur d’autres fondements pour obtenir gain de cause... ) rappelle aux entreprises de rester vigilantes dans l’utilisation de produits et marques concurrents dans la promotion de leurs propres actions, services et prestations.
Pour les syndicats, cela peut se traduire par l’apparition (films, vidéos) de marques de tiers identifiables dans des supports de communications et ce sans autorisations préalables...
L’UNSA demande d’ailleurs régulièrement aux auteurs et titulaires de marques le droit d’utiliser, via une décharge ou une licence de droits.
Berfin AGIRDAG, Juriste, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toutes questions, juridique@unsa.org