Confidentialité des informations à l’épreuve des actions en discrimination : obligation de l’employeur de communiquer les données personnelles !


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Collectes et traitements de vos données personnelles dans le travail : pour la bonne cause de la Justice...

A propos de Cass. 2e civ. 3 octobre 2024, n° 21-20979 FSBR
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

Le conseil de prud’hommes de Caen avait ordonné à la société, en application de l’article 144 du code de procédure civile, de produire les historiques de carrière de neuf salariés nommément désignés, ainsi que leurs bulletins de salaire de décembre de chaque année sur les dix dernières années d’exercice à compter de 2018. Il a, en outre, ordonné à la société de se justifier, en même temps que la communication des documents…

Le juge peut ainsi demander à un employeur que des informations à caractères personnels lui soient communiqués, tout en restant en conformité avec le RGPD, si les informations non essentielles sont occultées.

C’est ce qu’illustre cette décision en date du 3 octobre2024.

° FAITS :

Dans l’affaire, une société poursuivie pour discrimination s’est vu ordonner de fournir des bulletins de paies. L’employeur interjette l’appel contre cette demande, qui échoue. Il se pourvoit en cassation, se défendant de protéger la vie privée de ses salariés et que l’article 6§4 et 23§1 du RGPD ne listait pas la transmission d’information pour exécuter un contrôle juridictionnel comme une opération licite de communication de données personnelles.

La question soulevée est l’interprétation de l’article 6 du RGPD ; est-ce que le traitement par le juge des données personnelles d’un individu dans le cadre d’un procès en discrimination est proportionnée au regard de la protection des intérêts de la personne concernée ?

La Cour de cassation…

La Haute autorité rejette le pourvoi. Sa solution d’interprétation est que l’action de la justice, le droit de la preuve dans le cadre de la lutte contre la discrimination sont des objectifs proportionnés et sont des raisons suffisantes pour révéler des informations personnelles au juge lors d’un contentieux. Elle ajoute dans sa décision que le juge décide s’il a besoin ou non de ces preuves, sous condition que leur production soit indispensable.

Enfin, elle donne des consignes (paragraphe 53) : minimiser le plus possible le contenu divulgué pour aider les juges du fond qui souhaitent préserver la vie privée des autres salariés.

° En droit

Notamment, l’article L. 1134-1 du code du travail dispose que : « Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
 »

La cour de cassation n’a posé aucune question préjudicielle à la Cour de Justice concernant le RGPD : la question avait déjà trouvé une réponse dans une décision récente (1-), le juge de l’Union ayant déjà donné une position qui clarifie l’équilibre entre la protection des données et l’action du juge (2-).

1- Le juge dans un arrêt rendu en 2020 reconnait que la mise en balance du droit à la vie privée d’un individu et des droits fondamentaux (le droit à la preuve notamment) d’un autre était de laisser à l’appréciation du juge. Il en découle que le juge, pour apprécier la preuve, doit avoir accès aux données pertinentes « à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Sa décision s’appuie à la fois sur la jurisprudence européenne (en application des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales et GRPD) et du droit français (loi informatiques et libertés de 1978 et RGPD transposé).

2 - La Cour de cassation s’est appuyée sur la décision CJUE du 2 mars 2023, Norra Stockholm Bygg, C-268/21, dans laquelle elle articule la notion de droit de la preuve et les finalités/ proportionnalité de la communication.

Le traitement des données pour une autre fin que pour laquelle elles ont étés collectées est possible si ledit traitement constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique (le droit à une procédure juridictionnelle effective est admis selon la CEDH (24 juin 2022, Zayidov c. Azerbaïdjan, considérants 54 et 55) si elle présente un caractère adéquat et pertinent.

Pour le représentant du personnel...

On notera une différence d’appréciation entre la Cour de cassation et la Cour de justice. L’exigence du juge français semble plus lourde, puisque dans sa décision de 2020, la production de la preuve doit être indispensable.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2020, 17-19.523, Publié au bulletin :
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

° Droits en actions…

Une fois de plus, le RGPD n’est pas un obstacle à la communication de données personnelles utiles, proportionnées et pertinentes dès lors que la finalité de l’examen de ces données le requiert.

Adib MOUHOUB, Juriste, Pôle service juridique, Secteur Juridique National UNSA.

juridique@unsa.org

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