Possibilité pour le juge de confier une mesure d’instruction à un médecin...


https://www.unsa.org/3503

Par cet arrêt en date du 22 mai 2024, la Cour de cassation se prononce sur la possibilité qu’a un juge, dans le cadre d’un recours contre un avis d’inaptitude, dans le cas d’indisponibilité des médecins inspecteurs du travail, de confier la mesure d’instruction à un autre médecin.

JURISPRUDENCE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION  :

A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2024 n°22-22.321

https://www.legifrance.gouv.fr/juri...

° DECISION DU JUGE :

14. Il en résulte qu’à l’occasion d’une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article L. 4624-7 du code du travail, le juge qui constate qu’aucun médecin inspecteur du travail n’est disponible pour réaliser la mesure d’instruction peut désigner un autre médecin pour permettre son exécution.

15. La cour d’appel a d’abord relevé que le premier juge avait désigné un médecin inspecteur du travail régionalement compétent par jugement du 29 septembre 2020 pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

16. Elle a ensuite constaté que le conseil de prud’hommes n’avait trouvé aucun médecin inspecteur du travail qui accepte la mesure d’instruction et que face à cette situation de blocage, le juge chargé du suivi de « l’expertise » ordonnée le 29 septembre 2020, avait désigné, par ordonnance du 31 mars 2021, un médecin expert pour exécuter cette mesure.

17. Elle a relevé qu’il n’était pas contesté que le conseil de prud’hommes s’était heurté au refus, ou au silence valant refus, de tous les médecins inspecteurs du travail recherchés.

18. Elle a enfin retenu que le recours prévu par l’article L. 4624-7 du code du travail relevait de la procédure accélérée au fond de sorte qu’il était conçu comme appelant une réponse judiciaire rapide et que le juge prud’homal était souvent confronté en cette matière à la question du délai raisonnable.

19. En l’état de ses constatations caractérisant l’indisponibilité des médecins inspecteurs du travail, la cour d’appel en a exactement déduit qu’un autre médecin pouvait être désigné.

° FAITS :

Un homme a été engagé en 1984 en tant qu’assistant clientèle dans une agence bancaire. Après un accident domestique il a été placé en arrêt de travail en novembre 2018 avant d’être déclaré inapte à son poste par le médecin du travail sans possibilité de reclassement dans l’emploi, en juillet 2020.

° PROCEDURE :

Il a saisi le Conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond pour contester cet avis du médecin du travail avant son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement. La juridiction a confié à un médecin inspecteur régional du travail une mesure d’instruction et renvoyé l’affaire, avant de le décharger et de confier cette instruction à un médecin inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel, puis un complément d’expertise à un médecin expert.

Suite à cela, le conseil de prud’hommes a donné raison au salarié en rejetant la demande de nullité de l’expertise et constaté que les éléments de nature médicale ne justifiaient pas l’avis d’inaptitude à tout poste dans l’entreprise, émis par le médecin du travail le 1er juillet 2020.

En seconde instance, la Cour d’appel de Riom en date du 11 octobre 2022, a rejeté la demande de l’employeur en nullité d’expertise, celui-ci arguait du fait que seul le médecin inspecteur du travail était spécifiquement habilité par les textes. Il a donc saisi la Cour de cassation.

La question qui se pose avant tout dans ce cas est de savoir si le juge est fondé à confier une expertise médicale à un autre médecin que le médecin inspecteur du travail en cas d’indisponibilité ?

° ECLAIRAGES :

La Cour de cassation :

  • Rappelle que le code du travail permet à l’employeur de saisir le Conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond, d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale, et que ce le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence ;
  • Ajoute qu’en cas d’indisponibilité ou de récusation du médecin-inspecteur du travail, le conseil de prud’hommes statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre médecin inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent.
  • Pose que la Cour européenne des droits de l’homme juge que la durée raisonnable d’une procédure doit s’apprécier à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige. Lorsque la collaboration d’un expert est nécessaire au cours de la procédure, le juge doit assurer la mise en état et la conduite rapide du procès.

Elle en déduit que dans le cas d’une mesure d’instruction fondée sur l’article L. 4624-7 CT, le juge qui constate qu’aucun médecin inspecteur du travail n’est disponible peut désigner un autre médecin.

La Cour d’appel a relevé que le premier juge avait désigné un médecin inspecteur du travail pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Mais le Conseil de prud’hommes qui s’est heurté au refus ou au silence valant refus de tous les médecins inspecteurs du travail recherchés, n’en a trouvé aucun. Le juge chargé du suivi de l’expertise a donc dû désigner un médecin expert pour exécuter cette mesure, six mois après.

Enfin, la Cour d’appel en ajoutant que le recours contre les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail relèvent de la procédure accélérée au fond, donc cela nécessite une réponse judiciaire rapide, que le juge prud’homal étant souvent confronté à la question du délai raisonnable, a justement considéré que l’indisponibilité des médecins inspecteurs du travail a permis de déduire qu’un autre médecin pouvait être désigné.

Donc celle-ci ayant parfaitement appliqué la loi, le pourvoi en cassation doit être rejetée.

° FONDEMENTS JURIDIQUES DE LA DECISION ?

Les principaux articles sur lesquels se fondent la Cour de cassation sont au niveau national :

L’article L. 4624-7 I et II du code du travail dans la version allant de 2020 à 2022 selon lequel notamment :

I.- Le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4. Le médecin du travail, informé de la contestation par l’employeur, n’est pas partie au litige.

II.-Le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. Celui-ci, peut, le cas échéant, s’adjoindre le concours de tiers.

A la demande de l’employeur, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail peuvent être notifiés au médecin que l’employeur mandate à cet effet.
Le salarié est informé de cette notification.

III.-La décision du conseil de prud’hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.

IV.-Le conseil de prud’hommes peut décider, par décision motivée, de ne pas mettre tout ou partie des honoraires et frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive. Ces honoraires et frais sont réglés d’après le tarif fixé par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et du budget ».

Ainsi que l’article R. 4624-45-2 du Code du travail selon lequel : « en cas d’indisponibilité du médecin-inspecteur du travail ou en cas de récusation de celui-ci, notamment lorsque ce dernier est intervenu dans les conditions visées à l’article R. 4624-43, le conseil de prud’hommes statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre médecin inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent ».

Les principaux textes au niveau international sont :

D’abord l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

Ainsi que les affaires CEDH, 27 juin 2020, affaire Frydenler c. France, n° 30979/96 selon lequel doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé, et CEDH, 8 juin 2006, affaire Sürmeli c. Allemagne, n° 75529/01 selon lequel lorsque la collaboration d’un expert s’avère nécessaire au cours de la procédure, il incombe au juge d’assurer la mise en état et la conduite rapide du procès.

° DROIT EN ACTIONS :

Cet arrêt est à rapprocher de décisions précédentes de la Cour de cassation, notamment lorsqu’elle a jugé que le juge n’était pas lié par l’avis du médecin ainsi sollicité (Cass. Soc, 7 décembre 2022 n° 21-11.948).

Et ce conformément à une jurisprudence constante de la Cour en application de l’article 246 du code de procédure civile (par ex : Cass. 2e Civ, 14 décembre 1983 n°82-15.887, Cass. 2e Civ, 16 mars 2023 n° 21-16.217) selon lequel « le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien ».

Louis BERVICK, Juriste en droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA,

Pour toute question, juridique@unsa.org

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