Un statut de "salarié protégé" du "proche-aidant" ?
Alors que le nombre de salariés proches aidants est en constante augmentation du fait du vieillissement de la population et du souhait, très majoritaire, des personnes de rester le plus tard possible à leur domicile, l’appréhension par le droit du travail du salarié proche aidant reste encore timide. Pourtant, apporter de l’aide à un proche peut avoir des incidences sur l’emploi du travailleur et fragiliser son maintien dans l’emploi...
ANALYSE DE STATUT JURIDIQUE...
° UNE DÉFINITION DU SALARIÉ PROCHE AIDANT ?
L’article L. 113-1-3 du code de l’action sociale et des familles fixe "qu’est considéré comme proche aidant d’une personne âgée son conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, un parent ou un allié, définis comme aidants familiaux, ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables, qui lui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne".
L’article 3 de la directive 2019/1158 du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants définit l’aidant comme un travailleur qui apporte des soins personnels ou une aide personnelle à un membre de la famille ou à une personne qui vit dans le même ménage que le travailleur et qui nécessite des soins ou une aide considérables pour raison médicale grave telle qu’elle est définie par chaque État membre.
La conception de la directive est plus large que celle du code de l’action sociale et des familles, puisqu’elle ne se limite pas à l’aide de la personne âgée.
En revanche, le salarié "’proche aidant’ ne fait pas partie des salariés protégés au sens du code du travail (art. L. 2411-1 à L. 2411-2), tels que les membres du CSE, les délégués syndicaux, les conseillers prud’homme, les conseillers du salarié, les défenseur syndicaux”, …
° COMBIEN DE SALARIÉS PROCHES AIDANTS ?
Selon une étude de la DREES de 2023, il est estimé que le nombre de proches aidants âgés d’au moins 16 ans est de 9,3 millions de personnes en France.
Parmi ces personnes, 61 % ont une activité. L’INSEE considère qu’elles représentent 15 % de la population active, pourcentage qui pourrait atteindre 25 % en 2030.
Proches aidants de leurs parents, ils sont aussi encore en charge de leurs enfants alors qu’eux mêmes partent plus tard à la retraite, leurs enfants accèdent plus tardivement à un CDI et que l’espérance de vie s’est allongée...
Cet état de fait dégrade les conditions personnelles souvent de santé au travail, la nature des aides aux proches, les capacités financières de l’aidant, qui doit aussi s’accrocher pour préserver son emploi face aux mesures d’âge et constater une dégradation majeure de l’assurance chômage... "proche aidant", sans être aidé lui-même...
° PAS DE RECONNAISSANCE DU STATUT DE PROCHE AIDANT, PAS DE DISPOSITIFS
Beaucoup d’aidants ne se déclarent pas comme proches aidants. Cette absence de déclaration peut être due à la méconnaissance de ce régime, la crainte d’une discrimination, un risque de perdre leur emploi ou au fait qu’ils trouvent leur engagement « normal », ou encore plus simplement, parce qu’ils sont pris par leurs engagements sans être informés et accompagnés.
Cependant, en ne se déclarant pas comme proches aidants notamment auprès de leur employeur pour qu’au moins une bienveillance et des facilités soient consenties dans l’organisation du rapport entre vie personnelle et vie professionnelle, ces salariés ne bénéficient pas de la « protection » associée à ces activités et de dispositifs adaptés.
° COMMENT PROTÉGER L’ÉQUILIBRE ENTRE LA VIE PERSONNELLE ET LA VIE PROFESSIONNELLE DU SALARIÉ PROCHE AIDANT ?
La réglementation du travail tente de faciliter l’équilibre vie personnelle et vie professionnelle du salarié proche aidant.
Malgré tout, 75 % des travailleurs déclarent qu’être proche aidant affecte leur vie professionnelle ainsi que leur santé physique et mentale.
De plus, ils éprouvent des difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle.
Afin de s’occuper d’un proche, beaucoup de salariés proches aidants posent des jours de congés, un congé sans solde, voire un arrêt de travail.
Cependant, des dispositifs peuvent être mis en œuvre, tels que le congé de proche aidant (art. L. 3142-16 du code du travail), le don de jours de repos au profit de l’aidant (art. L. 3142-25-1 du code du travail), l’aménagement d’horaires individualisés (art. L. 3121-49, al. 2 du code du travail).
Des dispositifs conventionnels négociés collectivement peuvent aussi être mis en place. L’article L. 2241-1 du code du travail fixe une obligation de négocier au niveau de la branche, tous les quatre ans, sur les mesures destinées à faciliter la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants.
Toutefois, à la lecture des accords d’entreprise et de groupe, peu contiennent des dispositifs novateurs. Ils n’offrent que des jours de repos supplémentaires.
Il est pourtant envisageable de rémunérer le congé de proche aidant, de créer un fond de solidarité pour les dons de congés, d’offrir une aide administrative dans les démarches avec l’appui des services sociaux, de proposer une formation du proche aidant dans ses actions au quotidien, de désigner un référé du salarié proche aidant interne ou externe à l’entreprise pour l’accompagner et répondre à ses questions (74 % des salariés proches aidants demeurent favorables à l’instauration d’un « référent aidant » en entreprise.), de fournir des solutions de répit …
Afin de bénéficier d’un dispositif, le salarié doit effectuer une demande à l’employeur, tout en lui fournissant les justificatifs nécessaires. Néanmoins, l’exigence de ces documents peut refroidir certains salariés à accomplir cette demande, pour préserver leur vie privée.
° COMMENT PROTÉGER LA SANTÉ DU SALARIÉ PROCHE AIDANT ?
Alors que bien des aidants souffrent d’épuisement, la protection de la santé des salariés proches aidants est primordial.
Il peut être procédé à des visites à la médecine du travail, un rendez-vous de liaison spécifique avec l’employeur (comme celui existant en cas d’absence du salarié pour accident ou maladie supérieure à trente jours (art. L. 1226-1-3 du code du travail), un parcours de retour ou de réintégration …
Un accord collectif peut instaurer des dispositifs pour protéger la santé du salarié proche aidant, comme un dispositif de soutien psychologique par téléphone avec un spécialiste, une cellule d’écoute psychologique, de la communication préventive …
° COMMENT PROTÉGER LA CARRIÈRE DU SALARIÉ PROCHE AIDANT ?
La protection de la carrière du salarié proche aidant passe tout d’abord par la lutte contre les discriminations.
Cependant, le critère de proche aidant n’est pas encore intégré à l’article L. 1132-1 du code du travail, bien que la directive 2019/1158 du 20 juin 2019 le requiert.
Dès lors, il est nécessaire de se rapporter à un autre critère de discrimination, comme la situation de famille.
Il est envisageable de soutenir la carrière du proche aidant en mettant en œuvre des entretiens, afin de concevoir des aménagements de travail, des montées en compétences, des évolutions professionnelles.
Les salariés proches aidants ne doivent pas se trouver écartés des formations et des évolutions professionnelles. Pourtant, aujourd’hui, il est estimé que quatre salariés proches aidants sur dix refusent une opportunité professionnelle.
Le quotidien des aidants peut peser sur le maintien dans l’emploi de ces derniers. De nombreux salariés proches aidants songent à démissionner en raison de la difficile conciliation entre le travail et l’aide au proche. En fonction des situations, des actions individuelles et collectives sont recommandées, comme des formules plus souples de travail telles que les horaires individualisés, le temps partiel, le télétravail, le congé de proche aidant …
De nouveau, il est possible de négocier un accord collectif pour concourir au maintien dans l’emploi des salariés proches aidants.
Enfin, pour protéger la carrière du salarié proche aidant, il faut le prémunir contre la rupture du contrat. Un aidant sur deux a peur de perdre son emploi.
En plus de la protection contre la discrimination, la directive 2019/1158 du 20 juin 2019 prévoit également une protection contre le licenciement. Néanmoins, aucune disposition particulière ne figure actuellement dans le code du travail. Dès lors, les salariés proches aidants sont soumis au régime commun de la rupture du contrat.
DES PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LA PROTECTION DU SALARIÉ PROCHE AIDANT ?
Les dispositifs légaux actuels sont jugés insuffisants. Dès lors, plusieurs propositions ont été présentées afin d’améliorer la protection du salarié proche aidant, telles que la mise en place d’un suivi médical adapté, l’instauration d’un mandat de proche aidant avec un crédit d’heures, l’apparition d’un nouveau critère de discrimination, une protection spécifique contre le licenciement
Jade EL MARBOUH, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
Pour toute remarque, juridique@unsa.org
TEXTES :
Article L. 3142-16 du code du travail
Modifié par LOI n°2021-1754 du 23 décembre 2021 - art. 54 (V)
"Le salarié a droit à un congé de proche aidant lorsque l’une des personnes suivantes présente un handicap ou une perte d’autonomie :
1° Son conjoint ;
2° Son concubin ;
3° Son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;
4° Un ascendant ;
5° Un descendant ;
6° Un enfant dont il assume la charge au sens de l’article L. 512-1 du code de la sécurité sociale ;
7° Un collatéral jusqu’au quatrième degré ;
8° Un ascendant, un descendant ou un collatéral jusqu’au quatrième degré de son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;
9° Une personne âgée ou handicapée avec laquelle il réside ou avec laquelle il entretient des liens étroits et stables, à qui il vient en aide de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne."
Dans la Fonction Publique :
Décret n° 2023-825 du 25 août 2023 portant diverses dispositions relatives au congé de présence parentale et au congé de proche aidant dans la fonction publique, ci-joint.
Directive européenne :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf...
Allocation ’proche aidant’ :
https://www.legifrance.gouv.fr/code...
Les articles de l’UNSA :
https://www.unsa.org/Renouvellement...