Textes européens au secours de l’insuffisance de garanties du droit français ?
La question qui était posée aux juges était : quelles conséquences pour l’employeur qui refuse d’organiser une visite médicale de reprise pour un salarié à risques alors que des dispositions européennes garantissent des droits à la santé ?
La Chambre sociale de la Cour de cassation donne un éclairage particulier dans une décision rendue le 4 septembre 2024.
RÉUNIR LES CONDITIONS REQUISES POUR L’APPLICATION DU DROIT NATIONAL À L’AUNE DES PRINCIPES ET GARANTIES DU DROIT EUROPÉEN...
À propos de Cassation sociale, 4 septembre 2024, n° 22-23.648, arrêt publié au Bulletin.
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
FAITS :
Dans l’affaire, la demandeuse avait été reconnue invalide à la suite d’un arrêt de travail ordinaire. L’employeur n’organise pas une visite de reprise, celle-ci étant prévue à la suite d’un arrêt de travail pour accident ou maladie professionnelle.
Quelques années plus tard, la salariée devient inapte et l’employeur la licencie. S’estimant victime de l’inaction de l’employeur, qui aurait selon elle dû organiser une visite de reprise pour vérifier si elle était ou présentait un risque d’inaptitude, les prud’hommes sont saisis pour réclamer des dommages-intérêts.
Ses arguments (les moyens) reposent sur les articles du Code du travail qui, interprétés isolément prévoient une obligation générale de sécurité pour l’employeur. Celle-ci se traduit en pratique par une visite de reprise dans quatre cas limitativement énumérés 1° Après un congé de maternité ; 2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ; 3° Après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail ; 4° Après une absence d’au moins soixante jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel.
Ne remplissant pas les conditions de la loi, elle interprète ces dispositions à travers des règles de droit de l’Union européenne : la charte des droits fondamentaux , qui pose en principe des conditions de travail juste et équitable et la directive de 1989 sur la « sécurité et la santé des travailleurs au travail » (et notamment : l’article 6 qui prévoit que « L’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes » ; l’article 14 : « chaque travailleur doit pouvoir faire l’objet, s’il le souhaite, d’une surveillance de santé à intervalles réguliers »).
La question qui se pose alors est de savoir si la salariée peut se prévaloir de règles supranationales pour préciser la législation française sur la prévention et réclamer la réparation de son préjudice.
La Cour rejette le pourvoi. Elle considère qu’aucun texte visé au moyen ne confère au salarié de droits subjectifs, clairs, précis et inconditionnels en matière de suivi médical, de sorte qu’il appartient à celui-ci, en cas de non-respect par l’employeur des prescriptions nationales en la matière, de démontrer l’existence d’un préjudice.
DROIT :
Le juge pose des restrictions, lorsqu’il s’agit de mettre en concurrence le droit français et le droit international et communautaire. Par principe, le juge refuse de reconnaitre l’invocabilité d’une norme qui n’a pas pour objet de régler les litiges entre les individus.
Cependant, une directive qui remplit quatre conditions : elle est claire, précise, inconditionnelle même non transposée à temps est invocable dans un litige avec l’État (mais pas entre particuliers ).
Les directives n’ont ainsi pas d’effet direct par principe, mais peuvent avoir un effet « direct vertical par exception ». Ce faisant, le juge doit écarter la directive…
Pour s’appuyer sur la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, il faut que la disposition soit reconnue comme telle par le juge. Son inclusion dans le traité de Lisbonne lui a conférée certes l’invocabilité, mais seulement dans les litiges avec l’État et les organismes revêtus de l’autorité publique (cf. « effet direct vertical », ci-dessus).
Pour l’invoquer dans un litige entre particuliers (l’effet horizontal), le juge communautaire a pu s’appuyer sur le fondement de l’article 31 à la charte, relatif à l’acquisition de congés payés. Et, parce que l’effet direct de la Charte est variable, on ne peut en déduire que le droit n’est invocable, dans le cas d’espèce, qu’à des conditions justes et équitables. Le juge se trouve contraint encore une fois d’écarter la norme…
La directive, qui a été transposée prévoit que ce sont les dispositions en droit national qui assurent que l’objectif de santé et de sécurité soit rempli. Ni le droit interne ni le droit de l’Union ne confère de droit subjectif au salarié en termes de suivi médical, dont la violation constituerait une faute réparable. Il lui faut donc justifier d’un préjudice justifié pour obtenir réparation et dans ce cadre, des textes nationaux existent pour condamner tout fait ou toute abstention de leur auteur qui engage sa responsabilité dès lors qu’il occasionne un préjudice à qui que ce soit et notamment, un employeur à son salarié…
DROIT EN ACTIONS
L’application de la règle de droit international peut être utile lorsque le droit français n’est pas suffisamment précis et dans ce premier cas elle permet d’identifier ou d’étendre la portée des droits acquis, ou bien la législation est en contradiction avec celle-ci et le juge peut alors écarter le droit français au profit d’un autre.
Il faut cependant s’attacher à vérifier si la norme que l’on invoque en appui est bien d’effet direct horizontal.
En voici quelques exemples : les traités de l’Union européenne, les règlements de l’Union Européenne, la Convention Européenne des Droits de l’Homme, les dispositions concernant les congés payés à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux, l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), les arrêts de la Cour de justice de l’Union Européenne et les décisions lorsqu’elles visent les personnes (et non les États).
Adib MOUHOUB, Juriste en droit social, Pôle Service Juridique, Secteur Juridique National UNSA.
RÉFÉRENCES :
https://fra.europa.eu/fr/eu-charter...
https://eur-lex.europa.eu/legal-con...
https://eur-lex.europa.eu/legal-con...
https://eur-lex.europa.eu/legal-con...
arrêt Max-Planck-Gesellschaft zur ...
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